Salomé Romain ne représente malheureusement pas la France aux championnats du monde de Berne, mais a profité dernierement d’un pic de forme clôturant sa saison nationale et internationale de compétition en difficulté pour concrétiser en falaise, avec une journée d’anthologie dans le Vercors. Salomé a réalisé “Barbamémé” 7c+ flash puis “Barbatruc” 8b flash, et enfin “Barbapoule” 8b+ flash ; quelques jours plus tard elle s’adjugera “Barbapapa” 8c+, après seulement 2 montées de travail. Nous sommes allés à sa rencontre. Un récit plein d’enthousiasme et de passion !
– Concernant les flashs, parle-nous de cette journée d’anthologie ! Comment cela s’est déroulé voie par voie ?
C’était ma première visite à cette falaise. Je sortais du marathon des compétitions de juin/juillet (selectif, championnat de France, coupes du monde). Je n’ai réalisé aucun de mes objectifs en coupe du monde alors que j’avais un niveau de dingue. J’ai jamais été aussi forte et pourtant rien ne s’est aligné pour moi. A la sortie de ces compets j’en pouvais plus mentalement. J’étais épuisée dans la tête avec un moral dans les chaussettes, je ne voulais plus entendre parler d’escalade. Alors j’ai rangé mes chaussons pendant un peu plus d’une semaine et j’ai pas touché à une prise. Cette sortie falaise était ma première séance de grimpe depuis ma demi-finale (crève cœur) de Briançon. J’avais prévu d’y aller cool, reprendre des sensations, ne pas me mettre au taquet, pas de projet, juste grimper dans des voies pas trop dures et retrouver le smile. Et bah ça s’est pas passé comme prévu ! D’habitude j’utilise cette phrase en compet’ et c’est souvent quand je sors dans les 10 premières des qualifs de coupe du monde et qu’il y a un gros couac en demie. Et bah ce jour là la tendance s’est renversée on va dire. Il n’y a pas de voies faciles à ce spot alors après un petit échauffement à la poutre je suis partie cash dans le 7c+. Je me méfie toujours de cette cotation en falaise : c’est celle où tu peux rien voir comme te mettre un combat de dingue, et pour l’ego, c’est aussi celle où t’as pas envie de tomber. Quand j’ai clippé la chaîne de cette voie avec franchement la sensation d’avoir fait un 7a, c’est là que je me suis dit que ça allait être une pure journée. La “journée chill” sans voies dures initialement prévue est bien vite tombée aux oubliettes ! Ensuite je me suis dis “allez go” mets un run cash dans le 8b, il a l’air super cool. Et puis il y avait aussi cette voie qui traverse toute la falaise qui me faisait de l’œil (le 8b+). J’ai longtemps hésité à me mettre le projet dans celle-ci et oublier le 8b pour ce jour-là. Et puis là il y a quelqu’un qui est allé dans le 8b recaler les mouv’, je l’ai regardé, je me suis sentie hyper inspirée. J’ai clairement mis un run de compet’ dans une voie de falaise : tout était parfait pour torcher : la concentration, le fun, le rythme, l’engagement dans les mouvs, le relâchement, le combat, la précision. J’ai torché. Je me suis sentie heureuse, la grimpe est redevenue quelque chose de cool, ça m’a sortie de la tempête qui était à l’intérieur de moi et ça c’était peut-être encore plus beau que de faire mon premier 8b flash. Et là rebelote, il y a un gars qui est parti dans son projet en 8b+, je me suis dit “pourquoi s’arrêter là ?”. Ca avait l’air d’être une dinguerie… Eh bien ça avait pas seulement l’air, j’ai clippé le relais de mon premier 8b+ flash, putain c’était beau ! Je me rappelle avoir dit “je veux que cette journée ne s’arrête jamais” ! Je me suis sentie un peu puissante et très légère en même temps et ça quelques instants, assez pour savourer. Peut-être la récompense de tout ce que j’ai pas eu en compet’ ?! En tous cas j’étais venue pour faire du 7a toute la journée en mangeant des m&m’s, et je suis repartie avec un 7c+ flash, un 8b flash et un 8b+ flash (et plus de m&m’s) !
– Ces tentatives étaient planifiées à l’avance ou tu as tenté les voies au feeling au fur et à mesure de la journée ? Pourquoi avoir essayé flash et non pas à vue ?
Il y avait un peu du monde à la falaise donc à moins de regarder ses baskets toute la journée c’était compliqué de pas voir un peu les prises et les méthodes des grimpeurs dans leur projet, en l’occurrence le 8b et le 8b+, donc le véritable “à vue” n’aurait pas été respecté. En plus de ça, je pense que pour faire du “à vue” il faut être très très frais dans la tête et avoir vraiment la dalle. Quand t’as prévu de venir grimper tranquille, c’est pas tout à fait le mode adéquat pour faire du 8b à vue je dirais… J’ai choisi mes voies au feeling, je me suis laissée porter par l’inspiration !
– Comment se sont passés les essais ? Flashage en mattant des vidéos ? Ou avec des copains au sol qui te donnent les méthodes avant et pendant et installent les paires ?
Il y avait du monde dans chacune des voies que j’ai faite. Chaque voie était un projet pour 1 ou plusieurs personne donc les grimpeurs étaient bien calés sur leur méthode, sauf un mais c’est sa spécialité et il se reconnaîtra !
Pour le 7c+, je me suis laissée grimper, c’était très évident comme voie et il y du monde qui m’a aiguillé en bas pendant ma grimpe pour me donner quelques infos. Pour les 2 autres voies, j’ai procédé bien différemment et assez minutieusement. Dans le 8b, j’ai laissé passer 3 grimpeurs et j’en ai pas loupé un seul de vue pour avoir toutes les méthodes possibles en tête. C’était parfait car dans le trio il y avait une fille et un gars qui est capable de te faire un “Feet first” pour montrer qu’il existe d’autres méthodes donc autant dire qu’il a épluché toutes les possibilités. Et je m’en suis bien servie d’ailleurs. J’ai pioché chez chacun d’eux ce qui m’inspirait. Je me connais bien, j’arrive facilement à juger ce qui va me convenir et ce qui va passer avec ma petite taille. J’ai fait un gros effort de mémorisation et de visualisation, couplé aux ingrédients nécessaires pour mettre un gros run que j’ai listés en début d’interview, et ça a bien fonctionné ! Et pour le 8b+, il y avait qu’un seul grimpeur qui avait cette voie en projet (elle est assez nouvelle). J’ai pris le temps de le regarder sur 2 runs, on a ensuite décortiqué la voie ensemble. J’ai reproduit le même schéma que pour le 8b, il m’a aussi redonné quelques indications pendant mon run. Tout était calé dans ma tête. A croire que ça doit être la bonne recette pour les runs flashs ? Oubliez pas d’emmener Seb Casado pour vous sortir des petites méthodes pépites quand même ! Le 8b+ n’avait pas encore de nom, j’ai profité de l’occasion pour proposer à l’équipeur (Quentin Chastagnier) de lui en donner un. Je n’ai pas réalisé la première ascension, mais bien la première féminine et la première flash aussi, alors il avait l’air content de me laisser cette opportunité. Donc j’annonce que cette voie se nomme à présent “BARBAPOULE” ! Trop facile de comprendre pourquoi ! (ndlr : le surnom de Salomé est “cocotte”).
– “Barbapapa” en seulement 2 montées de calage, c’est monstrueux ! Décris la voie, comment ça s’est passé. Quelle a été ta méthodologie de calage ? Qu’est ce qui a fait la différence si vite selon toi ?
On est retournés au spot 4 jours après ma journée de flashs. Cette fois-ci j’avais déjà le 8c+ dans le viseur et bien envie de le démonter. De l’attitude “chill” on est passé à l’attitude “agressif” comme diraient les jeunes (mais je suis pas si vieille quand même). Je savais qu’il y avait des grands mouvements dans la première partie et qu’il allait falloir que je trouve des solutions adaptées à mon gabarit. Les frères Ternant étaient là, ils m’ont carrément bien aidée à trouver des idées. Entre Mathieu qui l’avait déjà torchée en 2021 et Arthur qui avait mit les pieds dedans juste avant moi et qui me connait vraiment bien, j’étais entourée d’une bonne équipe. J’ai fini par trouver les calages “cocotiens” comme j’aime bien dire parce que ceux là parfois il y a que moi qui peut les faire. C’est trouver des prises que personne ne prend, c’est remonter les pieds dans les dents, et c’est continuer de croire que ça va marcher dans l’enchaînement aussi ! Je connaissais déjà la 2ème partie de la voie car elle rejoint la fin du 8b+ d’où les 2 montées de calage et la croix au 3ème run (1 flash dans le 8b+, une montée de calage dans le 8c+). J’avais une petite appréhension sur le départ parce que j’ai choisi de pas partir avec les dégaines pré-clippées et le début est franchement bien dur. Mais full confiance dans l’assurage d’Arthur et ça l’a fait ! Je me suis mis vraiment le fight dans la première partie, j’ai même changé des méthodes que j’avais pas calées dans le run, c’était ambitieux mais courageux aussi et ça a payé. Quand j’ai entamé la 2ème partie, je suis entrée dans la rési et aussi dans mon élément. J’ai assemblé toutes les briques nécessaires à la réussite de projet de telle difficulté, j’ai crié, j’ai bataillé et puis j’ai enfin clippé le relais, émue et trop fière ! Mon premier 8c+, et pas des moindres ! Il paraît que c’était 9a avant alors il sera certainement pas décoté celui-là. En tout cas pas dans mon cœur, ni dans ma tête !
– La suite de ton été ? Entrainement pour la fin de saison de difficulté ? D’autres sorties ou projets dehors de prévus ?
La suite de l’été est très incertaine. Je ne peux pas me positionner sur la suite des événements en compétitions en tout cas. Ca n’est pas de mon ressort. Mais je comprendrais que je n’ai pas ma place pour faire la fin de la saison, je n’ai malheureusement pas fait d’exploits sur le mur. Concernant la grimpe dehors, après avoir été privée (par la force des choses et par moi-même aussi bien sûr) d’y aller toutes ces années pour un total engagement en compétition, j’ai vraiment envie d’en profiter à fond ! J’aimerais me trouver un projet un 9a pas trop loin de la maison et pourquoi pas aussi un projet en bloc parce que ça aussi c’est franchement cool. Avec ma taille il va falloir que je cherche un peu parce que je sais que je ne passerai pas partout, mais je vais trouver et comme d’hab’ ce sera tout un travail de cocotterie à faire pour aller chercher le top. J’ai hâte !
Photos : Arthur Ternant
Salomé Romain will unfortunately not representing France at the world championships, but she took advantage of the shape accumulated from her national and international competition season in difficulty to transfer her skills to rockclimbing recently, with a day of anthology in the Vercors. Salomé flashes “Barbamémé” 7c+, followed by “Barbatruc” 8b flash, and finally “Barbapoule” 8b+ flash, then a few days later sent very quickly “Barbapapa” 8c+ after just 2 goes. We went to meet her.
– About the flashes, tell us about this anthology day! How did it go, route by route?
It was my first visit to this crag. I was coming off a marathon of competitions in June/July (selectif, France championships, world cups). I hadn’t achieved any of my World Cup objectives, even though I was at a crazy level. I’ve never been so strong and all went wrong. It was hard mentally. I was exhausted in the head, my motivation was low and I didn’t want to hear any more about climbing. So I put my shoes away for a little over a week and didn’t touch a single hold. This day out was my first climbing session since my heartbreaking semi-final in Briançon. I’d planned to take it easy, get my senses back, not test my limits, no plans, just climb some not-too-hard routes and get my smile back.
Well, it didn’t go as planned! haha! I usually use this phrase when I’m competing, and it’s often when I’m in the top 10 in the World Cup qualifications and there’s a big slap in the semi-finals. Well, on that day, the trend was reversed. There are no easy routes at this spot, so after a short warm-up on the board, I went for the 7c+. I’m always pay attention to this grade at the crag : it’s the one where you can’t see anything, like putting up a crazy fight, and for your ego, it’s also the one where you don’t want to fall, haha. When I clipped the anchor on this route, frankly feeling like I’d done a 7a, that’s when I told myself it was going to be a pure day. The initially planned “chill day” without hard routes was quickly forgotten… Then I said to myself “go on” and put in a go on the 8b, which looked really cool. And then there was also this route that crosses the whole cliff that was really catching my eye (the 8b+). I hesitated for a long time about putting the project on this one and forgetting about the 8b for today.
And then someone went up the 8b to try the moves, and I looked at him and felt really inspired. I’d clearly put a competition go on a rockclimbing route: everything was perfect for sending: the concentration, the fun, the rhythm, the commitment through the moves, the flow, the fight, the precision. I sent. I felt happy, climbing became cool again, it got me out of the storm that was inside me, and that was perhaps even more beautiful than doing my first 8b flash. Then again, there was a guy who tried his 8b+ project, so I thought “why stop there? It looked like a crazy moment… Well, it didn’t just look like a dream, I clipped the anchor of my first 8b+ flash, it was fucking beautiful, I remember saying “I don’t want this day to ever end”! I felt a bit powerful and very light at the same time, and that for a few moments was enough to savor. Maybe it’s the reward for everything I didn’t get in competition! In any case, I had come to do 7a all day while eating m&m’s, and I left with a 7c+ flash, an 8b flash, an 8b+ flash (and more m&m’s)!
– Were these attempts planned in advance, or did you try the routes with the feeling as the day went on? Why did you try flash and not on sight?
It was a bit crowded at the crag, so unless you were looking at your sneakers all day, it was difficult not to see the holds and betas of the climbers in their project, in this case 8b and 8b+, so the real “on sight” wouldn’t have been respected. On top of that, I think that to do an “onsight go” you need to be very, very fresh in the head and really have the hunger. When you’re planning to come and climb quietly, it’s not the right mode for doing 8b on sight I’d say… I chose my routes with the flow, and let myself be carried along by inspiration!
– What about the flash goes? Flashing while watching videos? Or with buddies on the ground who give you the betas before and the draws in place?
There were a lot of people on every route I did. Each route was a project for 1 or more people, so the climbers had good betas, except for one, but that’s his speciality and he’ll admit it!
For the 7c+, I let myself climb it, it was a very obvious route and there were people at the bottom who gave me betas and information. For the other 2 routes, I proceeded quite differently and quite meticulously. On the 8b, I let 3 climbers go and didn’t miss a single one, so I had all the different betas in my head. It was perfect because in the trio there was a girl and a guy who is capable of doing a “Feet first” to show you that there are other plans, so it’s fair to say that he looked at all the possibilities. And I made good use of it. I took what inspired me from each of them. I know myself well, I can easily judge what’s going to suit me and what’s going to go with my small size. I put a lot of effort into memorization and visualization, coupled with the ingredients needed to put on a big go that I related at the beginning of the interview, and well, it worked!
And for the 8b+, there was only one climber who tried the route (it’s a new one). I took the time to watch him on 2 goes, then we worked out the route together. I reproduced the same plan as for the 8b, and he also gave me a few advices during my go. Everything was set in my head. Sounds like the right recipe for flash runs? And don’t forget to bring Seb Casado for the betas! The 8b+ didn’t have a name yet, so I took the opportunity to suggest to the bolter (Quentin Chastagnier) to give one name. I didn’t make the first ascent, but the first women’s ascent and the first flash as well, so he seemed happy to give me the opportunity to name it. So I announce that this route is now called “BARBAPOULE”! It’s so easy to understand why! (editor’s note: Salomé’s nickname is “cocotte meaning “poule” meaning chicken in french”).
– “Barbapapa” in only 2 goes, it’s incredible! Describe the route and how it went. Which details do you think made the difference quickly?
We went back to the spot 4 days after my flash day. This time around, I already had the 8c+ in my mind and I really wanted to try it. We went from a “chill” attitude to an “aggressive” one, as the kids would say (but I’m not that old after all), haha. I knew there would be some long moves in the first part and that I’d have to find solutions adapted to my size. The Ternant brothers were there, and they really helped me come up with ideas. Between Mathieu, who’d already done it in 2021, and Arthur, who were trying it just before me and knows me really well, I was surrounded by a good team. I ended up finding what I like to call “cocotiens”, because sometimes only I can do that, haha. It’s finding holds that nobody else will take, it’s putting my feet up in my teeth, and it’s continuing to believe that it’s going to work during the send too! I already knew the 2nd part of the route as it joins the end of the 8b+, that’s why the 2 checks goes and the send on the 3rd go. I was a little nervous at the beginning because I chose not to start with my quickdraws pre-clipped and the beginning was really hard. But I had full confidence in Arthur’s belay and it worked! I really put myself into the fight mode in the first part, even changing some betas I haven’t tried before during the climb, it was ambitious but also courageous and it paid off. When I got into the 2nd part, I switched into the resistance mode and I also got into my element. I put together all the elements needed to succeed in a project of such difficulty, I shouted, I fought and then I finally clipped the anchor, so proud of myself! My first 8c+, and not the least! I’ve heard it was 9a before, so it certainly won’t be downgraded. At least not in my heart, or in my head!
– What’s next for your summer? Training for the end of lead season? Any other outdoor projects planned?
The rest of the summer is very uncertain. I can’t take a position on what’s going to happen next in competitions in any case. It’s out of my hands. But I understand that I don’t have the place to make the end of the season, as I haven’t done any exploits on the wall. As far as outdoor climbing is concerned, having been deprived (by force of circumstance and by myself too, of course) of going there all these years because of a total commitment to competition, I really want to make the most of it! I’d like to find a 9a project not too far from home and why not a bouldering project too, because that’s really cool too. With my size, I’m going to have to look around a bit, because I know I won’t fit everywhere, but I’m going to find it, and as usual, I’ll have to do a lot of work to get the best. I can’t wait!
Pics: Arthur Ternant