(Article taquin pour vidéo au taquet)
Avant c’était mieux. Pas parce qu’on assurait à l’épaule. Pas parce que les sales salles et leurs parcours de Parkour n’étaient pas encore sortis du ventre du Progrès. Pas non plus parce que Bleau appartenait à une demi-centaine de marginaux.
Avant c’était mieux parce que la musique se faisait au synthé Casio et que les arc-en-ciels lorgnaient les grimpeurs pour avoir des idées de couleurs.
Mais surtout, avant c’était mieux parce que la dalle régnait sur le royaume de la varappe. La dalle. Avant, les grimpeurs avaient de vrais mollets, ils tenaient des rien comme d’autres des bacs et se faisaient des cales aux genoux. Ils savaient grimper, eux.
L’heure n’était pas encore aux grottes moites, aux plafonds bourrinant, pas plus qu’aux front levers à un doigt et aux rassurantes chutes dans le vide. La yaniro: dodo. Les crochets de talon, les contre-pointes, les kneepads (!!!) et repos tête en bas: oubliez. C’était la vraie grimpe quoi, peuplée de ballerines, rats d’opéra, de danseurs-étoiles et de magiciens. La lévitation existait, avant, quand c’était mieux.
Par chance, le bienfaiteur tchèque Adam Ondra, gardien des morts en même temps que voyageur du futur, vient de frapper du poing sur la table pour redonner du baume au cœur flétri des allergiques au dévers. Aux coincés du négatif.
D’abord en ressortant la figure historique Heinz Mariacher des cartons (un des premiers au monde à ouvrir un 8b, en 1986), avant de léviter comme à la belle époque dans “Sentierissimo”, un célèbre 7a d’Arco assez comparable à une patinoire, eu égard à sa totale absence de prises—pas d’une patine contre laquelle son inclinaison agit aujourd’hui comme la meilleure des défenses. Cerise on the cake, la vidéo s’ouvre sur une musique Casio des eighties accompagnant, une fois n’est pas coutume, un Ondra bariolé d’époque sur un Vespa-pas-Tesla.

Montée en puissance. Le Bon Tchèque affronte un 7c ouvert par Mariacher quand c’était mieux. Confidence de ce dernier alors qu’Ondra s’élance: “il va le décoter à 7b ou 7a”. Bilan des courses après son à-vue de haute lutte, “cette voie vaudrait 8a ou 8a+ aujourd’hui”, dixit Adam. C’était plus dur avant.
Le synthé cède sa place à la lancinance d’un violoncelle, la falaise change, pas l’inclinaison. Slab is still back. 8a+/b justement, première longueur d’une ligne dont la partie haute n’a pas encore trouvé chausson à son pied. Loris Manzana, l’équipeur, assure Ondra, qui expédie cette entrée en matière, avant le chantier du haut.
La joie se lit sur le visage du Tchèque. La joie de la dalle. Parce qu’il a la dalle de la dalle (sorry par avance, Kayoo). La jouissance du puzzle présenté au meilleur grimpeur, au plus complet varappeur, main comme-ci, doigt comme-ça, un millimètre par ici, une crampe par là… Ça cogite là-haut, les rouages tournent pour passer ce crux oxymorique, puissant et technique, physique et délicat.

Bien sûr qu’Ondra y arrive. Bien sûr qu’il enchaine. 9a dalle, bim, autant dire 9a pour qui sait grimper, 10b pour les monomaniaques de toits. “Niobe”, du nom d’une déesse grecque connue pour son arrogance et amplement punie. Nom auquel avait pensé son équipeur et que reprend Adam. C’est bien urbain.
Franco Cookson, responsable d’un 9a+ dalle au Pays de Galle (“Dewin Stone”, variante encore plus épicée de “Meltdown”, 9a), n’a pas tort lorsqu’il dénonce l’utilisation à tout va du terme “dalle”. Une paroi verticale n’est pas une dalle. Certains topos italiens, de Arco entre autres tiens, évoquent même des “overhanging slabs” (dalles déversantes) – ben voyons. Et une voie à passages dalleux dont le crux est déversant, même légèrement, ne fait pas tout à fait partie de la famille. À ce titre, le 9b “dalle” de Ondra au Canada, bon, c’est à se demander. « Cryptography », par contre, le 9b d’Alessandro Zeni pas encore répété depuis sa FA en 2020, aucun doute.
Mais que le Gallois se rassure: “Niobe” fait bel et bien honneur au positif, et cette vidéo de Ondra fleure bon l’hommage et la déclaration de love à un art délaissé. Pourquoi une telle criante absence des coupes du monde de difficulté, des JO? Pourquoi déverser tant de dévers? Après tout, il y a quelques années la coupe de France avait eu tant de succès avec son épreuve bretonne en dalle…

Que signifie l’aparté final du luthier en forêt? À souligner que les voies de roches, comme les violons, survivent à leur créateurs, portent leurs voix dans l’avenir, et par là les font eux aussi perdurer. Quand il aura rendu l’âme, que le monde de l’escalade pleurera un génie, “Niobe” écrira son nom: Ondra.
Allez, musica maestro!
Photos prises de la vidéo et de Giampaolo Calza
Texte : Denis Lejeune
(pinch of salt required to read this article)
It was better before. Not because we shoulder-belayed. Not because gyms and their Parkour obstacles courses hadn’t yet emerged from the womb of Progress. Nor because Bleau belonged to fifty or so marginalised individuals.
Things were better before because music was made on Casio keyboards and rainbows watched climbers for colour inspiration.
But above all, things were better before because slabs ruled the kingdom of rock climbing. Slabs. Back then, climbers had real calves, they held on to nothing like others hold on to jugs and wore scabs on their knees with pride. They knew how to climb.

It wasn’t yet the time for humid caves, rough ceilings, one-finger front levers and reassuring falls into the void. The fig 4: nope. Heel hooks, toehooks, kneepads (!!!) and upside-down rests: forget it. It was real climbing, populated by ballerinas, opera rats, star dancers and magicians. Levitation existed before, when things were better.
Fortunately, Czech benefactor Adam Ondra, guardian of the dead as well as traveller from the future, has just banged his fist on the table to restore hope to those allergic to overhangs. To those who saw life in a positive way.
First, by bringing the historical figure Heinz Mariacher out of retirement (one of the first in the world to climb an 8b, in 1986), before levitating as in the golden age in ‘Sentierissimo’, a famous 7a in Arco that is quite comparable to an ice rink, given its total lack of holds. The icing on the cake is that the video opens with 1980s Casio music accompanying, for once, an Ondra in the colours of yesteryear on a Vespa-not-Tesla.
Gaining momentum. The Good Czech tackles a 7c opened by Mariacher himself when things were better. Confidence from the latter as Ondra sets off: ‘He’s going to downgrade it to 7b or 7a’. Replies Adam after his hard-fought onsight: ‘This route would be worth 8a or 8a+ today’. It was harder before.
The Casio keyboard gives way to the haunting sound of a cello, the sector changes, not the incline. Slab is still back. 8a+/b to be precise, the first pitch of a route whose upper section has yet to find a climber to match it. Loris Manzana, the route setter, belays Ondra, who dispatches this introduction before tackling the upper part.

Joy is written all over the Czech climber’s face. The joy of hunger. Because he’s hungry for slabs. The enjoyment of the puzzle presented to the best climber, the most complete rock climber, hand like this, finger like that, a millimetre here, a cramp there… It’s all happening up there, the wheels are turning to get past this oxymoronic crux, powerful and technical, physical yet delicate.
Of course Ondra succeeds. Of course he strings it together. 9a slab, bam, which is to say 9a for those who know how to climb, 10b for roof monomaniacs. ‘Niobe’, named after a Greek goddess known for her arrogance and amply punished. A name thought up by the bolder and taken up by Adam. Very sweet.
Franco Cookson, who is responsible for a 9a+ slab in Wales (‘Dewin Stone’, an even spicier variant of “Meltdown”, 9a) is not wrong when he denounces the indiscriminate use of the term ‘slab’. A vertical wall is not a slab. Some Italian guidebooks, including those for Arco, even refer to ‘overhanging slabs’. And a route with slabby sections whose crux is overhanging, even slightly, does not quite belong to the family. As such, Ondra’s 9b ‘slab’ in Canada is questionable. ‘Cryptography’, on the other hand, Alessandro Zeni’s 9b, has not been repeated since its first ascent in 2020, but there’s no doubt about it: it’s a good old slab.
But the Welshman can rest assured: ‘Niobe’ certainly does justice to the positive, and this video of Ondra is a tribute and declaration of love to a neglected art. Why such a glaring absence from the World Cup and the Olympics? Why so much negativity? After all, a few years ago, a French Cup was so successful with its Breton slab competition…
What does the video’s luthier final aside in the forest mean? That climbing routes, like violins, outlive their creators, carry their voices into the future, and thereby ensure their own longevity. When he passes away, the climbing world will mourn a genius, and ‘Niobe’ will write his name: Ondra.
Allez, musica maestro!
Pictures from the video and by Giampaolo Calza
Text: Denis Lejeune



