Falaisiste de haut niveau, amouraché de caillou depuis son plus jeune âge, équipeur, réalisateur de voies extrêmes, père de famille, concepteur de structures d’escalade, le chambérien Mathieu Bouyoud baigne dans l’escalade et ne semble jamais s’ennuyer. Un véritable week-end warrior, autant modeste que discret ! Rencontre avec un véritable passionné de grimpe !
– Depuis quand grimpes-tu ? Peux-tu nous raconter tes débuts en falaise ? Comment as-tu attrapé progressivement le virus ?
Je grimpe et découvre l’activité depuis tout petit à la belle saison en extérieur sur les falaises de Saint-Alban, des secteurs développés par mon père à l’époque pour nous initier juste à côté de la maison. En hiver pas de grimpe mais plutôt du ski. Dénicher de nouveaux endroits, les développer et réaliser de nouvelles voies dures ; c’est ce qui m’a vraiment motivé à continuer.
– Tu réalises beaucoup de voies dures en falaise chaque année, comment choisis-tu tes objectifs et tes projets ? Planifies-tu tes sorties et te prépares-tu spécifiquement pour les projets ou cela te vient au fil des séances ?
Je ne planifie pas grand-chose… Je choisis les falaises en fonction de la saison et des motivations de chacun. Le pied et l’accès comptent pour beaucoup en ce moment avec les petits. Je scrute la moindre voie qui me reste à faire… Si c’est pour un projet dur loin de chez moi je choisis quand même une voie qui va me convenir sur le papier. Faut être un minimum tactique quand tu n’as pas beaucoup de temps. Et travailler ses points forts pour être encore plus fort !
– Quelle importance accordes-tu à la ligne même ? Es-tu capable de réaliser toutes les voies d’un site en mode collectionneur, ou y a-t-il des voies qui te rebutent (style, côté artificiel, longueur…) ?
Faire de belles voies est sûrement ma première motivation mais je suis pas très difficile je crois. Passer un bon moment dehors et profiter de ce que tu as, c’est déjà pas mal. Faire semblant d’être mal à l’aise parce qu’une prise est renforcée… ce n’est pas trop mon truc. Tout me plait ! Après il faut mettre des priorités si tu veux en faire quelques-unes de dures.
– Quel est ton style de prédilection, que tu affectionnes le plus ? Les voies dures ou le style de voie, des endroits à découvrir qui te font encore rêver ?
Le long résistant sur règles ça me va bien ! Des voies courtes sur trous tendus pas du tout… Ce qui me fait rêver c’est de trouver une falaise à équiper de 40 m de haut, à l’ombre, pelouse au pied, pas de marche pour pouvoir en profiter en famille et à côté de la maison…
– Tu as équipé quelques grandes-voies; est-ce que réaliser des grandes-voies difficiles pourrait être un domaine qui t’attire dans le futur, par exemple pas loin de chez toi, en Suisse ?
Dans la grande-voie c’est l’équipement qui me plait, trouver un ensemble homogène avec des longueurs qui se marient bien les unes après les autres, la recherche de l’itinéraire est un aspect très prenant, ce que tu ne retrouves pas dans l’équipement d’une simple couenne. Aller répéter pour répéter une grande-voie? Je n’y vois pas une grande motivation. Plus tard dans du facile quand je serai vieux !
– Le trad, tu as déjà essayé ? Cela te plait ?
L’activité doit être très sympa dans la démarche, ça se rapproche de l’équipement je pense. Tu es un peu plus « proche » du caillou pour trouver tes protections. Pourquoi pas… Mais pas en famille. Il y a un petit risque de finir par terre quand même.
– Tu as beaucoup équipé et grimpé en Savoie, contribuant grandement à développer l’escalade autour de chez toi. Parle-nous des spots locaux, de la dynamique locale, des projets, de l’escalade dans le coin, qui reste assez méconnue.
Comme partout je crois que le développement dépend d’une minorité de grimpeurs / équipeurs qui sont passionnés de découvertes hors des sentiers battus. Par chez nous quelques-uns sont actifs fort heureusement. Il y a surtout des voies qui s’ouvrent dans les sites déjà connus et quelques fois dans de nouveaux endroits en fonction des motivations de chacun. Il n’y a pas de fil directeur… À part les interdictions, qui réduisent les possibilités. L’équipement est de plus en plus associé à des responsabilités (gestion du site, entretien, autorisations…), ce qui freine un peu les envies.
– Tu as pris le perfo assez jeune pour équiper des voies, parle-nous de ta vision de l’équipement.
Equiper a été très rapidement une obligation si je voulais avoir encore de quoi faire en Savoie, et finalement c’est ce qui me motive le plus. Trouver la voie à équiper et l’enchainer. Le processus de recherche et de découverte est très plaisant. Avec le temps et la pratique tu progresses dans ta façon de faire. Je pense mieux « finir » les voies maintenant ; mettre les points tout de suite à la bonne place, itinéraire le plus naturel possible, le plus logique, moins se fatiguer et aussi aller plus vite.
– Quel regard portes-tu sur le monde des falaises en France, et sur la gestion des sites naturels ?
En France on est déjà bien lotis, ne l’oublions pas. Nous avons une quantité de sites extraordinaire. Après, la gestion se fait au cas par cas et différemment en fonction des régions, parcs ou propriétés. Dommage qu’il n’y ait pas une vrai unité entre les grimpeurs et les différentes instances pour soutenir ensemble nos terrains de jeu. Chacun de son côté c’est bien en ultra local mais pour défendre notre activité plus globalement sur de gros sites, ce n’est pas terrible. Les chasseurs eux, ne sont pas divisés par exemple.
– Par rapport à d’autres nonogradistes français très forts et très connus, tu accordes une importance particulière aussi au à-vue avec une belle liste d’ascensions à la clé; qu’est ce qui te plait dans ce style ?
Réussir du premier coup une voie c’est grisant. Lire le rocher et deviner tout de suite les placements. Ça n’arrive pas souvent mais quand tu réussis à le faire proche de ton niveau max, c’est l’essai parfait.
– Tu as beaucoup grimpé à l’étranger? Quels sont pour toi les sites les plus remarquables que tu as eu l’occasion de découvrir ?
Il y a beaucoup de sites très bien maintenant ! Babala en Grèce c’est quand même incroyable ! En Espagne il y a une très grande concentration de voies dures à ne pas rater. En France des sites historiques restent indémodables.
– Tu as des idoles ? Quels sont les grimpeurs qui t’inspirent ? Tes influences en escalade ?
Je n’ai jamais eu vraiment d’idoles. Mais plutôt des personnes qui m’ont conseillé et donné leur avis, je pense à Laurent David, Philippe Collard, Didier Angonin.
– Tu es père de deux enfants, et ta compagne Amandine grimpe aussi très fort, réalisant dernièrement son premier 8b. Comment arrivez-vous à concilier parentalité et grimpe de haut niveau en falaise ? Vous grimpez essentiellement le week-end ?
Oui essentiellement le week-end, sauf en été où on arrive à faire quelques soirées grimpe. Pour l’instant ils sont petits donc ce n’est pas dur de les motiver… J’aimerais qu’ils aiment aussi l’escalade. Pas simple de transmettre une passion. Être ultra organisé sur les tâches à faire au quotidien permet de faire pleins de choses avec ses enfants.
– Toi qui grimpe depuis un bail, comment vois-tu l’évolution et le futur de l’escalade en milieu naturel ?
Avant l’escalade était plus libre, moins de monde, pas ou peu de responsabilité, moins d’interdiction, les spots secrets pour rester anonyme, les topos sur de petits bouts de papier. Avec les salles privées et les JO, l’escalade n’est plus un sport méconnu. C’est bien pour tout le monde au global mais faut maintenant gérer les problèmes engendrés par la fréquentation et la notoriété.
– Le mot de la fin, un message à faire passer ?
Merci à la petite famille qui reste motivée pour aller grimper, et qui le restera longtemps j’espère !
Crédit photos: Mathieu Bouyoud
Mathieu Bouyoud from Chambéry is a top-level sport climber with extremes lines on his CV, a rock enthusiast from an early age, a bolter, a father and designer of climbing structures for JeGrimpe.com. He is immersed in climbing and never seems to get enough of it. A real weekend warrior! Meet a man with a real passion for climbing!
– How long have you been climbing? Can you tell us about your early days? How did you catch the climbing bug?
I’ve been climbing and discovering the activity since I was a kid, in the summer, outside on the cliffs of Saint-Alban, areas developed by my father at the time to introduce us to the sport right next to the house. In winter, it was not climbing but skiing. Finding new places, developing them and doing new hard routes; that’s what really motivated me to keep going.
– You do a lot of hard climbing every year. How do you choose your objectives? Do you plan your outings and prepare specifically for projects, or does it come to you as you go along?
I don’t plan much… I choose the cliffs according to the season and each person’s motivation. The footing and access count for a lot at the moment with the little ones. I look for any route that’s left for me to do… If it’s for a tough project far from home, I choose a route that suits me on paper. You have to be at least tactical when you don’t have much time. And work on your strong points to be even stronger!
– How important is the line itself to you? Are you capable of doing all the routes at a crag in collector mode, or are there routes that put you off (style, artificiality, length…)?
Doing good routes is probably my main motivation, but I don’t think I’m very picky. Having a good time out there and enjoying what you’ve got isn’t bad. Pretending to be uncomfortable because a hold has been strengthened… that’s not really my thing. I like everything! Then you have to set priorities if you want to do some hard work.
– What is your favourite style of climbing? Are there places to discover that still make you dream?
Long resistant routes on crimps suit me fine! Short routes on pockets don’t suit me at all… My dream is to find a 40m-high cliff to bolt, in the shade, with a lawn at the foot and no steps so that I can enjoy it with my family, and next to the house…
– You’ve bolted a few multipitch routes; could doing difficult MPs be an area that attracts you in the future, for example not far from where you live, in Switzerland?
On an MP, it’s the bolting that appeals to me, finding a homogeneous whole with pitches that fit together well one after the other. The search for the route is a very absorbing aspect, which you don’t find in the bolting of single pitches. Repeating an MP for the sake of repeating it? I don’t see it as a great motivator. I’ll do the easy stuff later when I’m old!
– Have you ever tried trad? Do you like it?
It must be a really fun activity, and I think it’s very similar to bolting. You’re a bit ‘closer’ to the rock in order to find your protection. Why not… But not with the family. There’s a slight risk of ending up on the ground.
– You’ve climbed and bolted a lot in Savoie, making a big contribution to the development of climbing in your area. Tell us about the local spots, the local dynamic, the projects and the climbing in the area, which is still relatively unknown.
Like everywhere else, I think that development depends on a minority of climbers/bolters who are passionate about discovering things off the beaten track. Fortunately, there are a few active climbers in our area. There are mainly routes being opened up at well-known crags and sometimes in new places, depending on the motivation of each climber. There are no guidelines… Apart from bans, which reduce the possibilities. Bolting is increasingly associated with responsibilities (site management, maintenance, authorisations, etc.), which can act as a killer.
– You took up bolting at a fairly young age to create new routes, tell us about your vision.
Bolting very quickly became an obligation if I wanted to still have something to do in Savoie, and in the end it’s what motivates me the most. Finding the route to bolt and sending it. The searching and discovery process is very enjoyable. With time and practice you improve in your way of doing things. I think I’m better at ‘finishing’ routes now; putting the bolts in the right place straight away, the most natural route possible, the most logical, less tiring and also faster.
– How do you see the world of outdoor sport climbing in France, and the management of climbing places?
In France we’re already fairly lucky, let’s not forget that. We have an extraordinary number of sites. After that, management is done on a case-by-case basis and differently depending on the region, park or property. It’s a shame that there isn’t real unity between climbers and the various authorities to support our playgrounds together. Each one on his own is fine for ultra-local climbing, but when it comes to defending our activity more globally on larger sites, it’s not great. Hunters, for example, are not divided.
– Compared to other very strong and very well-known French 9th graders, you also attach particular importance to onsights, with a great list of climbs to your credit; what do you like about this style?
Doing a route right the first time is exhilarating. Reading the rock and immediately guessing the positions. It doesn’t happen often, but when you manage to do it close to your maximum level, it’s the perfect attempt.
– You climbed abroad a lot. What are the most remarkable sites you’ve discovered?
There are a lot of great sites right now! Babala in Greece is incredible! In Spain there’s a huge concentration of hard routes that are not to be missed. In France, there are some historic sites that never go out of fashion.
– Do you have any idols? Which climbers inspire you? What are your climbing influences?
I’ve never really had any idols. But Laurent David, Philippe Collard and Didier Angonin have influenced me.
– You’re the father of two children, and your partner Amandine also climbs very hard, recently doing her first 8b. How do you manage to reconcile parenthood and high-level climbing? Do you mainly climb at weekends?
Yes, mainly at weekends, except in the summer when we manage to have a few climbing evenings. At the moment they’re small so it’s not hard to motivate them… I’d like them to love climbing too. It’s not easy to pass on a passion. Being ultra-organised when it comes to everyday tasks means you can do lots of things with your children.
– As someone who’s been climbing for a long time, how do you see the evolution and future of climbing outdoors?
Climbing used to be freer, with fewer people, little or no responsibility, fewer bans, secret spots that remained secret, topos on little pieces of paper. With private climbing gyms and the Olympics, climbing is no longer a marginal sport. That’s good for everyone in general, but now we have to deal with the problems caused by the number of climbers and the popularity of the sport.
– Any last words or messages?
Thanks to the little family who are still motivated to go climbing, and who I hope will remain so for a long time to come!
Pictures: Mathieu Bouyoud