(English below)
Si vous étiez sur internet cette semaine, vous n’avez probablement pas pu passer à côté de LA vidéo des dernières 24h… Sinon, voici : une super production cinématographique à grand budget de pas moins de 48 minutes avec laquelle Red Bull et 360 Holds, en compagnie des champions slovènes Janja Garnbret et Domen Skofic, inondent les réseaux sociaux et se paient un grand coup de pub sur une grande-voie artificielle présentée comme la plus longue du monde et ouverte sur une cheminée de 360m de haut, à l’est du pays d’origine des deux athlètes.
Parlons des bonnes choses d’abord, parce qu’il y en a toujours. On ne peut pas le nier, c’est sur plusieurs points un projet osé, sur une cheminée et dans un cadre photogéniques à souhait ! On imagine le gros kiff des ouvreurs d’ouvrir un tel projet avec des longueurs très variées et une escalade toujours intéressante. En sus, l’initiation en grande-voie de deux petits jeunes qui ont du potentiel est intéressante à suivre. Et on aime la grande-voie ! On adore la grande-voie ! On y voit d’ailleurs les erreurs de jeunesse qui se glissent dans cette première « grande » grande-voie comme Domen se vachant au relais avec des dégaines, les émotions réelles (stress, fatigue, joie), la lutte bref, les aperçus parfois touchants de ces premiers pas. Tout ça: oui et re-oui. Plus de grande voie en vidéo, plus de champions du monde pour y goûter, oui, triple oui !
Mais il y a l’art, et il y a la manière. Nous comprenons que les sociétés aient envie de publicité. Logique qu’une entreprise de prises de grimpe ne rechigne pas à tracer un petit joyau sur une cheminée de 360m de haut. Ça a de quoi tenter, on est bien d’accord. Ceci étant de quoi parle-t-on au juste : de deux tonnes de prises, de deux années de préparation, de deux mois de travail actif (nacelles, perceuses etc) pour au final procurer 19 heures d’escalade à deux grimpeurs. Oui, Janja et Domen sont des rois de l’escalade de compétition, mais tout ça pour seulement deux grimpeurs et deux jours d’escalade seulement ? Car cette immense cheminée n’est en rien une SAE : après ces 19h de grimpe, tout est démonté, c’est fini ! Nous avons le sentiment d’un réel gâchis ! Toute cette dépense d’énergies et de moyens pour un projet au final assez futile et inutile. Dans la logique censée imprégner la communauté de l’escalade et autres sports outdoors, il eut été autrement plus “rentable”, voire défendable, d’au moins laisser la voie en place, voire pourquoi pas d’équiper des lignes plus abordables par le vulgum pecus?
Au-delà du contenu très plein les yeux de ce genre de coup de comm’ (la voie n’est en rien difficile au vu du niveau du couple de champions et de l’enchaînement au 2ème jour : désolé pour le spoil), et au-delà du fait de permettre à Janja et son amoureux de vivre leur première expérience en grande voie, nous nous posons des questions sur l’intérêt réel de ce genre de contenu devenu viral en quelques minutes, si ce n’est de se détendre en appréciant la qualité indéniable de l’ouverture de cette titanesque grande-voie 100% PU.
Avec ou en parallèle de ce projet, Red Bull avait par exemple l’occasion de populariser auprès d’un public non-initié une pratique peu souvent mise sous les projecteurs : la grande-voie, et de proposer de la pédagogie auprès des jeunes générations, de développer une « culture grande-voie ». Que nenni : tout y est axé autour du commercial, des athlètes endorsés, du partenariat avec un fabricant de prises, de la pure publicité sans autre message discernable. Le projet ne sera pas pérenne mais bien éphémère. On ne nous dira d’ailleurs pas ce qui sera fait ensuite des prises utilisées pour ce « vanity project ». Aucun enseignement ou empreinte culturelle n’est à l’ordre du jour. Pourtant le film est monté comme si on avait affaire à une véritable expédition… Bon, pour l’esprit d’aventure on repassera quand même. Quand bien même de multiples grandes-voies alpines sont à portée de doigts des deux champions et du siège de l’entreprise.
De manière plus générale, cette vidéo renforce notre inquiétude quant au positionnement de Red Bull dans le monde de l’escalade outdoor. Pour l’historique, on ne peut oublier la polémique suite au matériel laissé en place dans la voie du Compresseur au Cerro Torre après la première tentative du regretté David Lama en 2010. En France, nous connaissons depuis quelques années, pour le meilleur et surtout pour le pire, le Red Bull FontNBleau avec l’envahissement d’un secteur de notre belle forêt par des foules de participants et de spectateurs, avec tous les impacts écologiques que cela comporte, comme par exemple l’accentuation de l’érosion et de la patine puisque la gagne se fait sur la quantité de blocs grimpés. Une nouvelle fois, cette production ne nous semble pas aller dans la bonne direction sur cet aspect. Avec 360 Ascent, on a à nouveau droit à un vanity project dont on a du mal à extraire une once de philanthropie.
L’aide à la gestion des milieux naturels reste par ailleurs encore et toujours oubliée. Car si les moyens mis en œuvre pour ce projet sont colossaux et l’idée originale, on ne peut que regretter qu’aucune mise en valeur du patrimoine outdoor slovène n’ait été mise en avant pour l’occasion. À l’heure où l’entretien et la défense des milieux naturels devient une question cruciale dans plusieurs pays d’Europe, et notamment en Slovénie, nous trouvons cette production en décalage certain. Pour remettre dans le contexte, le développement des falaises a débuté en Slovénie à la même période qu’en France, il y a plus de 30 ans. Aujourd’hui des associations locales slovènes (comme Projekt Osp) tentent de gérer au mieux l’entretien des falaises avec ce que ça représente dans l’anonymat le complet : une galère du quotidien entre points rouillés, des menaces d’interdictions, des demandes de dons, un manque de temps et de moyens au vu de l’envergure de la tâche… Dans ce contexte donc, Red Bull (et d’autres grandes marques d’ailleurs) pourrait jouer un rôle majeur et inspirant en coopérant dans ces actions, au vu des moyens financiers importants dont ils disposent. Leur communication à travers de la grimpe artificielle à grands coups de sensationnel nous paraît en décalage et nous laisse un vrai goût de gâchis.
Espérons seulement que la marque au taureau rouge saura nous surprendre agréablement par des actions futures davantage en adéquation avec les valeurs originelles de notre activité telles que nous les concevons : car le respect de l’environnement et de la culture outdoor, ça aussi ça donne des ailes !
Photos : coll. RedBull Content Media Pro
If you’ve been on the internet this past week, you must have come across THE video from the last 24 hours… If not, here it is: a great big-budget cinematographic production of no less than 48 minutes, with which Red Bull and 360 Holds, along with Slovenian champions Janja Garnbret and Domen Skofic, are flooding the social networks and taking a big advertisement shot thanks to an artificial multi-pitch route presented as the longest in the world, on a 360m high chimney to the east of the country of origin of the two athletes.
The good things first, because there always are. There is no denying that it is an amazing project, on a very photogenic chimney and setting! We can imagine how exciting it must have been for the routesetters to open such a project with very varied pitches and climbing that always seems entertaining. In addition to that, there is the introduction into multi-pitch climbing of two young people (with some potential), and that is always interesting to witness. And we like multi-pitch routes! We love multi-pitch climbing! So we truly enjoyed being privy to the small mistakes that crept into this first “big” multi-pitch route, like Domen tethering with quickdraws, to the real emotions on display (stress, fatigue, joy), the struggle, the fight. All of this: yes and yes again. Yes to more great footage of multi-pitch climbing please, yes to more world champions tasting its poisoned beauty, yes yes yes!
But there is the art, and there is the manner. We understand that companies want publicity. It makes sense that a climbing holds company would lick its lips at the prospect of setting a little gem on a 360m high chimney. That’s hard to turn down, agreed. That being said, what are we talking about exactly: two tons of holds, two years of preparation, two months of active work (cherry-pickers, drills and so on) to ultimately provide 19 hours of climbing for two climbers and two climbers only. Yes, Janja and Domen are amazing royalties of competition climbing, but all this for just two climbers and two days of climbing? Because, wait, this huge chimney is in no way a climbing wall: after these 19 hours of climbing, everything was dismantled and it was all over! It seems like waste, or a wasted opportunity! All these energies and resources for a project that ultimately feels quite futile and unnecessary. When one thinks of the debate going on in the climbing community (and other outdoor sports populations) over carbon footprints and such, it would have been more “profitable”, maybe even defensible, to at least leave the holds on for others to enjoy, and why not even bolt easier lines for the plebs?
Beyond the striking aspect of this kind of PR (the route is not so difficult when you know the level of the champions), and beyond the fact of allowing Janja and her beloved to bite their first multipitch bullet, we wonder about the real interest of such content, which has gone viral in minutes, other than offering some escapism while enjoying the undeniable quality of the setting of this titanic 100% plastic multipitch route.
Red Bull could have taken the opportunity of this project, for instance, to try and draw more people into an area of climbing that is often kept under the radar: multi-pitch climbing, and to offer pedagogical content to young audiences in order to help grow a ‘multi-pitch culture’. Alas: the sole angle in view is commercial with endorsed athletes, partnership with a holds company, and no other message whatsoever. This vanity project was all but ephemeral. We are not even graced with information on what befell those two tons of holds afterwards. Yet at the same time the video is presented to us as some kind of expedition. Sorry, but in terms of adventure spirit, it doesn’t pass muster. To think how close numerous alpine multi-pitch routes are to those champions, and the holds company…
More generally, this video is not to reassure us as to the direction Red Bull is going with outdoor climbing. For context, it’s hard to forget the controversy surrounding the gear left in situ during the late David Lama’s attempt on the Compressor route on the Cerro Torre, in 2010. In France, we have been confronted for a few years now with the Red Bull FontNBleau, an event equating with the invasion of parts of the forest by countless competitors and spectators, with all the ecological impact imaginable, erosion and polish in particular since you score on how much you climb. So, it’s hard to say Red Bull is being thoughtful in Fontainebleau, and with 360 Ascent, we are once more faced with a vanity project somewhat devoid of perspective.
On the other hand, help regarding the management of natural areas is still no where to be see. Despite the originality of the idea and the financial means behind the project, we regret that Red Bull did not take this opportunity to at least show and promote a bit of the great Slovenian outdoors. At a time when the defence and maintenance of natural areas is becoming of such crucial importance in Europe, including in Slovenia, this production feels out of kilter. For context, the bolting of crags started in Slovenia around the same time as in France, 30-odd years ago. Today, local Slovenian groups (such as Projekt Osp) are trying to manage the maintenance of those crags, with all that comes with it: a daily battle against rusting bolts, banning threats, begging for donations and a general lack of time and money given the size of the task ahead… In the context then, Red Bull (as well as other big brands) could play a major and inspiring role in contributing to helping those groups out. A beautifully filmed PR exercice on artificial holds leaves a somewhat bitter taste in our mouths.
We can only hope that Red Bull will surprise us for the better with future endeavours more in line with the core values of our passion, because respecting the environment and the outdoor culture, that too can give you wings!