Peut-être avez-vous eu vent des retentissants exploits de Solenne Piret en forêt de Fontainebleau ces dernières années. Cette grimpeuse, née avec une agénésie de la main (un de ses bras se « termine » au niveau du poignet), compte à son actif quelques enchainements notables de 7B. Vous ne le saviez peut-être pas mais les bleausards comptent également dans leurs rangs sa contrepartie masculine ; et pas des moindres. Le discret Erwan Lievin possède en effet le même handicap et son niveau est en train d’exploser. Il vient d’enchainer le classique “Bagheera”, 7C, au Maunoury. Nous lui avons posé quelques questions sur cette performance, sur sa grimpe et sur le para-escalade en général. Propos recueillis par Julien Gasc, athlète handi (qui lui a déjà réussi du 7C bloc avec un pied) et membre de l’équipe éditoriale.
– Salut Erwan. Peux-tu te présenter en quelques mots ? Depuis quand grimpes-tu ? Où et comment ? Bleau semble être ton terrain de prédilection ?
Salut, moi c’est Erwan Lievin j’ai 21 ans et je suis actuellement à la fin de ma licence STAPS entraînement sportif. Ça fait maintenant 2 ans et demi que je grimpe, depuis que je suis arrivé au club de l’USBY (club de Bures-sur-Yvette) et que j’ai rencontré mon entraîneur actuel Ludovic Delmotte. Depuis ce moment je grimpe entre 6 et 8 fois par semaine en comptant les séances de préparation physique.
Effectivement à côté des entraînements pour les compétitions je grimpe le plus possible dehors et de préférence à Fontainebleau. J’adore l’ambiance qu’il y a et le fait d’être tout seul dehors face à un rocher qui te dit juste si t’es assez fort ou non pour rétablir au-dessus.
– Quelle importance a l’enchainement de “Bagheera” pour toi ? Quel est ton ressenti actuellement ?
L’enchaînement de ce bloc a une grosse signification pour moi tant sur le plan de l’accomplissement final que sur le plan de l’investissement et de l’entraînement.
J’ai passé pas mal de temps à m’entraîner sans sentir de progrès. Du coup, aujourd’hui je me sens comme soulagé, je sais que j’ai réussi à passer un palier qui me permet de voir plus loin et de croire que ce n’est que le début du dépassement des limites du para escalade en bloc en extérieur. De plus ça me met bien en confiance avec les compétitions internationales qui approchent. Je n’ai jamais été aussi heureux de l’année que lorsque j’ai enchaîné le bloc !
Comment en es-tu venu à essayer “Bagheera” ? Est-ce qu’avec ta situation particulière, la recherche de projets spécifiques est importante pour toi ?
En effet quand on a un handicap le chemin pour trouver des blocs qui marchent est très long, il faut trouver LE bloc qui nous permet de nous exprimer dans des cotations élevées. Sur les mouvements d’un bloc il y a parfois 1 seul mouvement qui nous empêche de pouvoir réaliser l’enchaînement et c’est assez frustrant surtout qu’on cherche toujours énormément de méthodes différentes pour que ça marche ; mais bon ça fait partie du jeu !
J’ai trouvé “Bagheera” en me baladant sur Instagram et je m’étais dit que ça pouvait marcher malgré les mouvements du milieu du bloc qui me paraissent tous plus loin les uns que les autres… Mais il y avait qu’une seule façon de savoir si le bloc marchait, il fallait aller voir !
– Raconte-nous un peu le processus. C’était un projet de longue haleine ?
Je suis allé sur le bloc sans grande attente et au final je réussis à caler 9 des 10 mouvements du bloc ! J’ai donc essayé d’ouvrir des répliques des mouvements dans les spray-walls de mon club l’USBY qui me permet de m’entraîner dans les meilleures conditions possibles avec les structures qu’on a.
J’ai travaillé ces mouvements et à la deuxième séance sur le bloc je cale le mouvement qui me manquait… Plus qu’à enchaîner !! Mais ce jour-là rien n’y fait la troisième main du bloc était trop dégueu pour faire quoi que ce soit, dès que j’arrivais sur la prise avec mon moignon je poissais directement ! En même temps sous 25 degrés ça allait être compliqué…
La semaine d’après je retourne sur le bloc avec beaucoup d’envie, en sachant que le bloc allait être en meilleures conditions. Et effectivement en fin de chauffe quand je recale les mouvements un à un, ils me semblent beaucoup plus faciles et les prises tiennent vraiment mieux ! Au cours de ce calage je décide de changer de méthode qui fait faire un mouvement plus dur mais qui me fait économiser 4 mouvements de pieds. Premier run de la journée. Je pars dans le bloc, tous les mouvements m’ont parus plus faciles que lors des différents calages et j’enchaîne mon premier 7C au premier essai de la 3ème séance !!
– Une anecdote en particulier à propos de cet enchainement ?
Le jour de l’enchaînement j’avais calé les mouvements du bloc avec des chaussons de location que j’avais pris à Blocbuster et j’oublie de mettre des vrais chaussons pour faire le bloc et j’enchaîne le bloc en chausson de location avec le talon qui s’est presque enlevé pendant le run…
– On a l’impression que tu es en pleine progression, tu comptes t’arrêter où ? Plus sérieusement, penses-tu être encore loin de tes limites ?
Pourquoi s’arrêter ? C’est vrai qu’en ce moment je me sens plus fort que jamais, mais c’est difficile de croire que je suis proche de mes limites sachant que ça ne fait que 2 ans et demi que je grimpe. Je ne compte donc certainement pas m’arrêter en si bon chemin alors que ce n’est que le début et je suis convaincu que je suis loin de mes limites au vu de tous les points sur lesquels je peux encore largement m’améliorer ; ce que je compte bien faire !
– Tu as d’autres projets en forêt ou ailleurs ?
Oooh que oui, j’ai la chance de vivre pas très loin de la forêt de Fontainebleau. Avec le nombre de blocs que l’on y trouve j’ai toujours des idées de blocs que j’aimerais bien aller essayer parce qu’ils sont juste super classes, ou bien pour repousser la cotation.
A côté de la forêt, j’ai beaucoup d’idées de blocs que j’aimerais essayer en grande partie en Suisse comme dans le Val Bavona ou vers Cresciano plus pour un aspect de performance et pour repousser mes limites. Je suis trop pressé d’y aller pour voir s’ils marchent !!
– As-tu un plan d’entrainement particulier ?
Oui, que ce soit pour l’entraînement en compétition ou pour l’extérieur je suis suivi par Ludovic Delmotte au sein du club de l’USBY, que je remercie énormément pour tout ce qu’ils font pour moi ! Je suis donc un plan d’entraînement en fonction des différentes échéances qu’on fixe ensemble avec Ludo pour arriver le plus préparé possible.
– Tu as évidemment, plus qu’un grimpeur lambda, des points forts et des points faibles. Est-ce que tu es plutôt du genre à travailler tes points forts à la recherche du projet ultime ou plutôt du genre à travailler tes points faibles pour la polyvalence ?
Ça dépend beaucoup de mon état d’esprit et des périodes dans lesquelles je suis. En période de compétition j’ai souvent plus envie de travailler mes points faibles pour me sentir à l’aise dans à peu près tous les styles. Alors qu’hors saison je préfère clairement entraîner des points spécifiques pour réaliser mes différents projets que ce soit en faisant des répliques de certains mouvements ou en préparation physique pure et dure.
– Penses-tu que l’escalade se prête bien au sport handi ou adapté ? Car il semble que la diversité de la gestuelle proposée en bloc permet à des personnes avec une immense variété de handicaps de s’exprimer.
Comment pourrais-je répondre non ? Évidemment comme tu le dis il y a tellement de gestuelles différentes en escalade en général et de plus en plus de personnes s’y intéressent, à l’image des frères Mawem qui ont participé aux développement d’un système d’assurage qui permet de réduire le poids des grimpeurs avec des gros problèmes moteur. À côté de ça, la motricité que propose l’escalade est très inclusive il est donc assez facile de s’adapter en fonction de son handicap. De plus, l’escalade a une des meilleures communautés, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous aider ! Les choses changent et évoluent en bien, c’est super cool à voir !
– En ce sens, c’est important pour toi de promouvoir notre sport en tant qu’athlète para spécifiquement ou tu n’y penses pas particulièrement ?
Effectivement, je trouve ça important de promouvoir notre sport, c’est encore un jeune sport en développement et qui n’est pas très connu malheureusement mais il reste donc tout à faire. J’interviens de temps en temps dans des écoles pour montrer qu’il est possible de grimper même avec un handicap ou encore juste en discutant dans les différentes salles dans lesquelles je vais.
– Tu as quelque chose à rajouter ? Un message à faire passer ?
Si vous connaissez des personnes en situation de handicap qui veulent se mettre à l’escalade, emmenez-les avec vous, il y a encore beaucoup de chose à faire évoluer pour repousser les limites ! Et pour ma part on se voit bientôt sur les tapis ou en forêt ! Bientôt le 8ème degré à une main…
You might have heard of Solenne Piret’s remarkable one-handed sends. Solenne was indeed born with a unique condition where one of her arms ends at wrist level and despite this obvious handicap has sent some infamous 7B’s in the equally infamous bouldering crags of Fontainbleau. What you might not know yet is that Solenne has a male counterpart in Fontainebleau that is just as impressive, to say the least. Erwan Lievin was born with the same condition and just sent is first 7C, Bagheera, at Maunoury, one of Fontainebleau’s many crags. Here’s what he had to say regarding the send, his incredibly swift recent progress and paraclimbing in general. Interviewed by Julien Gasc paraclimbing athlete (who already climbed 7C with one foot) and member of the editorial team.
– Could you introduce yourself? How long have you been climbing? Is Fontainebleau, aka Bleau by locals, your favorite playground?
Hi, my name is Erwan Lievin, I’m 21 and I’m currently a students in Sports and Exercise Science. I’ve been climbing for 2 and a half years, since I’ve signed up at my current Club, where I met Ludovic Delmotte, my trainer. Since then, I’ve been climbing 6 to 8 times a week, if you include mere work out sessions. And, yes, aside from training for comps I climb outdoors as much as possible, preferentially in Fontainebleau. I really enjoy the atmosphere and the feeling you get when you’re alone outside facing a rock that just reminding you how hard toping out can be.
– How important is this send for you? How do you feel right now?
Having sent this means a lot to me, not only the send in itself but because of the time invested training that led to it. Sending this problem made me the happiest I have been all year. I’ve spent a long time training hard without really feeling the benefits of it, so today I feel almost relieved because I know that I just got off a plateau and that will allows me to see further. I now believe that I’m only beginning to push my limits and that’s true for paraclimbing outdoors in general. Besides, it’s a great confidence boost for the comp season ahead!
– How did you come to try “Bagheera” specifically? With your unique situation, is the search for a well-suited project particularly tricky?
Yes indeed. When you deal with a disability, the path to a hard problem that works for you can be a long one. You have to find the one problem where you can best profit from your climbing abilities. What can be frustrating is that quite often there is only a single move that doesn’t work out and keeps you from sending, no matter how much time you spend searching for the right beta. But, that’s just part of the game!
I first came across “Bagheera” just scrolling through Instagram and I thought it might work out, despite some movements that looked quite reachy. But there’s only one way to find out, you gotta try it!
– Tell us about the process. Was it a long-term project?
I first went to check it out without expectations and actually managed to find a way for 9 out of the 10 movements the problem counts. So, I started setting up replicas on the spray walls at my home gym, where I get the chance to train in optimal conditions, thanks to the structure that’s available.
I worked on those moves specifically and on my second session on the project I was able to find a beta for the last move that had eluded me. All that was left to do was send! But that day, no matter how much I tried, I wasn’t able to use the key hold with my stump; it was too humid to do anything with it, as soon as I’d put my stump on it, it’d get sweaty. I mean, with 25°C that day, I knew my chances of sending would be compromised anyways.
I came back the following week with magnified determination and motivation knowing that conditions were better. And they were, I could feel it when I finished warming up by re-doing all the moves separately; they all seemed easier than I remembered since each hold had a better friction. Actually, at that point I decided to change my beta. I went for a harder move in the crux but that avoided an extra sequence of four foot-moves. Eventually when I started climbing on my first go that day, every move was feeling smoother than during previous sessions and I ended up toping out my first 7C on the first attempt of the third session on it!
– There’s a fun fact about this send, isn’t it?
The day of the send, I was fine-tuning beta with rental shoes I’d gotten from BlocBuster. For the send, I simply forgot to put on real shoes and ended up sending with those rentals; the heel almost came off while climbing…
– You seem to be on an incredibly steep progression slope, do you intend to stop at some point? Or more seriously put, how far from your limits do you think you currently are?
Why stop? It’s true these days I feel stronger than ever but I don’t think I’m close to how hard I can climb knowing that I’ve only been climbing for 2 ½ years. I’m convinced this is only the beginning and that I’m far from my limits because I can see several aspects of my climbing where I have a lot of room for improvement. So, I certainly do intend to remain on the same path and keep getting stronger!
– Do you have other projects, in Fontainebleau or elsewhere?
I do! I’m lucky to live near Fontainebleau’s forest. With the amount of bouldering there is here I always have plenty of ideas of problems to try, either because they look and climb great or simply for the challenge of climbing harder grades. Aside from the forest, there’s a lot of problems I’d like to try in Switzerland, mostly in Val Bavona and Cresciano. That would be more performance oriented, basically to try to push my limits further. I can’t wait to go check them out!
– Do you follow a training plan? Do you have a coach?
Yes, both for outdoors and for comps I train with Ludovic Delmotte from my team, whom I deeply thank for all the amazing work they do for me. So, I follow a training schedule that’s decided by Ludo according to the various events I have and to get there as well prepared as possible.
– Obviously, you, more than the average climber have strengths and weaknesses. Are you the kind of climber that tends to build up on his strengths to reach maximum performance or more the kind that tries to progress by improving his weaknesses?
It really depends on my state of mind and where I am in my schedule. During competition season, I feel more like working on my weaknesses to be more versatile on routes. Whereas, the rest of the year, I clearly prefer improving very specific aspects to target my projects. This can be either training particular moves on replicas, for instance, or simply power and strength work outs.
– Do you think climbing works well as an adaptive sport activity?
How could I say no to that? There is such a huge variety of movement and types of effort in climbing in general that more and more people are showing interest for it. The Mawem brothers’ recent development of a new auto-belay for people with disabilities is a great illustration of that trend. Besides, the motor skills required for climbing are very inclusive because you can easily adapt the type of climb and the movement to the disability. And, climbing has one the best, most welcoming communities, you’ll always find someone to help you out. Things are changing and evolving for the better, it’s really nice to witness!
– Is it important to you to promote climbing, as an adaptive athlete and as para-climber, specifically?
Yes, it is! I think it’s important to promote our sport in general. It’s still relatively young, so there’s still a lot to do. I often promote para-climbing by going to schools to show the kids that it’s possible to climb with a disability and often too simply by chatting with people at the gym.
– Would you like to add anything?
If you know people with disabilities around you who are thinking about taking up climbing, bring them along. There’s still a lot to do to get the field to evolve in the right direction and eventually push the limits of what’s doable.
As for me, I’ll see you all soon in the forest and on the mats! One-handed 8th grade coming up soon!