Le sujet des décotations abordé par Fred Rouhling et Lucien Martinez ! Dans une vidéo interview en deux parties accordée à Relais Vertical, un des grimpeurs phares des années 90, Fred Rouhling, revient sur plusieurs aspects éthiques de notre activité.
D’une part, Fred Rouhling aborde dans un premier volet la polémique autour de la taille des prises et sa vision de l’époque, puisqu’il a ouvert des itinéraires références de la haute-difficulté comme “Hugh” ou “De l’autre côté de ciel” intégralement taillés dans les 90s.
Dans une seconde vidéo, Fred revient sur sa proposition de premier 9b mondial, “Akira” (1995). De manière fort intéressante, Fred explique pourquoi il a proposé 9b et revient sur les controverses qui ont suivi avec d’autres top grimpeurs du moment comme Jibé Tribout ou Dani Andrada. Fin 2020, Seb Bouin, Lucien Martinez puis Joshua Fourteau enchainent la voie et proposent 9a. Une décotation que Fred trouve un peu rude et qu’il ne semble pas digérer, malgré l’évolution du matériel et des méthodes d’entrainement depuis 15 ans, qui expliquent que les séquences difficiles collent davantage avec le style moderne des top grimpeurs actuels. Fred avoue que si d’un côté il a peut-être été naïf et orgueilleux en proposant 9b, d’un autre côté il émet le postulat très personnel que les autres grimpeurs qui ont essayé et répété n’ont pas eu une histoire très claire et sincère quand ils sont venus essayer ou répéter “Akira”. En particulier, Seb Bouin et Lucien Martinez ont pour lui décoté la voie sans véritable sincérité, dans l’esprit de se faire mousser et de le rabaisser. L’interview se termine par une longue et dernière tirade sur le système de cotations qui ne laissera pas indifférent, où Fred explique le côté dangereux de la décote systématique d’itinéraires par certains forts grimpeurs, remettant en question le consensus d’une cotation. Interpellés par ces propos, car sur les 4 répétitions d'”Akira” nous rappelons que 3 grimpeurs ont proposé 9a, ce qui nous semble être une majorité et un consensus, nous avons demandé à Lucien Martinez de réagir aux propos de Fred dans sa dernière vidéo. Lucien a accepté et voici sous la vidéo le droit de réponse de ce dernier.
Lucien Martinez :
“Tu m’as demandé de réagir à la deuxième partie de l’interview vidéo de Fred Rouhling. Alors premièrement je voudrais dire que j’ai vraiment bien aimé les deux parties, je les ai écoutées sans m’ennuyer une seule seconde ! Fred n’a pas essayé de faire du politiquement correct et vraiment c’est tout à son honneur. J’ai aussi beaucoup aimé la métaphore du Roi Pêcheur. Pour le reste, je ne vais pas avoir la grossièreté de me justifier bêtement sur ce qui m’est reproché. Par contre, je pense que c’est intéressant de dire un mot sur ce que Fred explique à la fin sur les décotations. En résumé, il dit que la mode est à décoter les voies pour faire parler de soi, que c’est dommageable à la pratique et que ça met en péril le système global des cotations parce que ça empêche de trouver des consensus. Je suis en désaccord total avec ça. Quand on trouve de nouvelles méthodes qui changent franchement la difficulté, quand on s’est posé des questions, qu’on a comparé aux voies de référence qu’on connaît et si on pense que c’est plus facile, c’est normal de décoter, justement pour préserver le système de cotations et ses références du grand n’importe quoi. Malheureusement, ce n’est absolument pas la mode, bien au contraire, la mode est à la prise sans vergogne les cotations les plus hautes car les grimpeurs savent trop bien que, contrairement à ce que dit Fred, décoter revient avant tout minimiser les répercussions de sa propre performance. Il est complètement aberrant et injuste de critiquer les rares grimpeurs (j’insiste bien, ces grimpeurs sont rares !) qui osent décoter les voies et font l’effort de se poser des questions sur ce qu’ils accomplissent, car ils se battent justement pour que le haut niveau en falaise reste crédible ! Pour ma part, quand je fais une perf et que j’ai le sentiment d’avoir fait moins dur que la cotation officielle, si je ne dis rien, j’ai un syndrome de l’imposteur et j’ai la sensation (très justifiée selon moi) d’avoir des honneurs que je ne mérite pas. Quand je ferai mon premier 9a+ ou mon premier 9b, je veux en être fier et ne pas être considéré comme un grimpeur de 9a+ sans en être un réellement. Pour finir, je voudrais quand même préciser que je ne suis pas naïf et que je sais très bien que toutes les décotations ne sont pas faites à des fins louables ; l’histoire a montré qu’elles sont assez souvent des attaques personnelles pour nuire au premier ascensionniste ou à un grimpeur dont ça serait la meilleure perf … De ce fait, je comprends très bien la réaction de Fred sur Akira. Personnellement, je ne décote JAMAIS des voies pour nuire à des gens. C’est même plutôt le contraire : ça m’est déjà arrivé de ne pas oser décoter justement par peur que certaines personnes ne comprennent pas et se vexent.”
En tout cas l’éternel débat sur les cotations à travers l’expérience “Akira” est ici relancé, et en tant que média qui accordons de l’importance aux performances en escalade et donc du crédit aux cotations, il nous semblait intéressant de revenir sur ce sujet. Qu’on y accorde de l’importance ou pas, la cotation est une partie inhérente de notre activité et même si nous sommes convaincus que grimper une voie pour le chiffre n’est pas la meilleure solution pour rester passionné, préférant relater des expériences au travers des performances, il serait quand même naïf de croire qu’on peut grimper à haut niveau en esquivant ce rapport au chiffre.
In a two-part video interview with Relais Vertical, one of the famous climbers of the 90s, Fred Rouhling discusses several ethical aspects of our activity.
On the one hand Rouhling addresses in a first part the controversy around the chipping of holds and his vision at the time, since he opened routes of the highest difficulty, such as “Hugh” or “De l ‘autre côté du ciel”, entirely manufactured in the 90s.
In a second video, Fred talks about his grade proposition for the world’s first 9b, “Akira” (1995). In a very interesting way, Fred explains why he proposed 9b and discusses the controversies that followed with other top climbers of the moment such as Jibé Tribout or Dani Andrada. At the end of 2020, Seb Bouin, Lucien Martinez then Joshua Fourteau repeated the route and proposed 9a. A downgrade that Fred finds a little harsh and that he does not seem to digest, despite the evolution of climbing gear and training regimes over the past 15 years, which explains why the difficult sequences are more in keeping with the modern style currently mastered by top climbers. On the one hand Fred admits that if he may have been naive and overzealous in proposing 9b, on the othe he makes the very personal postulate that the climbers who have tried and repeated the route have not had a very clear and sincere story when it came to trying or repeating “Akira”, in particular Seb Bouin and Lucien Martinez, who for him downgraded the route without real sincerity and in the spirit of being recognised for this. The interview ends with a long and final tirade on the grading system that will not leave you indifferent, where Fred explains the dangerous side of the systematic downgrading of routes by strong climbers, questioning the consensus of a grade. Interested in his words, because out on the 4 repetitions of “Akira” 3 climbers proposed 9a, which to us seems like a consensus, we asked Lucien Martinez for his take on Fred’s words. Lucien accepted and here is his right of reply.
Lucien Martinez:
“You have asked for my reaction to Part 2 of the video interview of Fred Rhouling (by Relais Vertical). First off, I’d like to say that I’ve really enjoyed the two parts, and I wasn’t bored a second listening to them! Fred didn’t go for PC speech and he should be praised for it. I also really liked the analogy with the King Fisher. As for the rest, I will not be so uncouth as to try and justify what I am accused of. However, I think it would be interesting to say something about what Fred develops at the end regarding downgrading. In short, he says that the prevalent trend consists in downgrading routes in order to garner publicity, that it’s damaging climbing and that it threatens the global grading system since it prevents a consensus to be found. I could not disagree more. When a climber finds new methods, which frankly change the difficulty of a route, when they’ve thought about it a lot, that they have compared that route to the gold standards of that given grade (that they have climbed) and that they think the last one is easier, it’s normal to downgrade. In fact this downgrade is there to actively preserve the grading system and protect its yardsticks from utter chaos. Sadly, what is clearly the current trend is the total opposite: what is fashionable is to pick the higher grade because climbers know all too well – contrary to what Fred says – that downgrading implies, above all, a lessening of one’s performance. It is absolutely unfair and nonsensical to blame the rare climbers (I insist: those climbers are few and far between!) who dare downgrade and really ask themselves hard questions about what they do and achieve, because it is they who fight to keep a smidgen of credibility at the top level! As for me, when I send a hard route that I feel is less hard than the official grade, if I don’t say anything I suffer from the impostor syndrome, and I have the impression (totally justified in my books) of receiving congratulations I do not deserve. The day I send my first 9a+ or 9b, I want to be able to be proud of it, and not be seen as a fake 9a+ climber. Lastly, I’d like to emphasise that I am not naive enough to think that all downgrades are done in all honesty. History has shown that they can sometimes be used as personal attacks in order to discredit the first ascensionist or a climber for whom it is the hardest climb… In this light, I totally understand Fred’s reaction when it comes to Akira. But personally, I NEVER downgrade routes to discredit anyone. It’s in fact rather the contrary: I have sometimes chosen not to downgrade a route fearing that some people would not understand and sulk.”
In any case, the eternal debate on grading system through the “Akira” experience is relaunched here, and as a media which attaches importance to climbing performances and therefore credit to grades, it seemed interesting to us to come back to this topic. Whether we give it importance or not, grades is an inherent part of our activity and although we are convinced that climbing a route for the number is not the best solution to remain passionate, preferring to relate experiences to the through performances; on the other hand, it would be naive to believe that one can climb to a high level in climbing by avoiding this relation to numbers.