« L’ombre du Voyageur », énorme toît de 10 mètres d’avancée niché au Salève (à la frontière suisse) libéré par notre Charles Albert national en novembre 2023, vient d’être répété ! Proposé 9A bloc, Charles l’avait bien sûr ouvert pieds nus, tout en no foot, 360° et oppositions et pieds à plat. Mais une vidéo de Pete Whittaker était sortie cet automne, mettant en évidence que d’autres méthodes étaient possibles en utilisant des verrous dans la fissure et avec des coincements de genoux. C’est cette option que l’italien Pietro Vidi a décidé d’exploiter, et avec des séquences totalement différentes: muni de 4 (!) genouillères, 2 gants de fissure, Pietro est parvenu à répéter l’affaire et propose une décotation du bloc à 8B+, prouvant une nouvelle fois son talent et sa polyvalence, quelques jours après avoir répété « Histoire sans fin ». Pietro n’ayant à cette heure pas répondu à nos questions de manière à approfondir les circonstances de son enchaînement, cette réalisation nous amène néanmoins à plusieurs remarques et questionnements.
Alors que Charles a ouvert le bloc dans un style très épuré, sans chaussons, et sans protéger les coincements et que Pietro a utilisé tous les artifices possibles, nous sommes à l’extrême opposé en terme de style d’ascension, et pourtant, c’est le même problème qui a été gravi. En termes de difficulté, c’est aussi le yoyo, avec d’un côté un 9A bloc annoncé, qui n’est autre que la plus haute proposition dans le monde du bloc, et de l’autre 8B+, qui en 2025 est le niveau de tout très fort grimpeur local dans son spot de bloc préféré. Cet épisode relance donc le débat des répétitions, et le fait de bien expliciter le contexte de réalisation des performances, tout comme se soucier des méthodes ou styles d’ouverture pour pouvoir comparer les réalisations, car nous sommes bien d’accord, et Pietro l’admet, la séquence réalisée par Charles pour l’ouverture est d’une difficulté inouïe. Généralement nous cotons les enchaînements selon la méthode communément jugée la plus facile, donc les futurs répétiteurs seront surement munis de couches pour proposer une difficulté proche du 8B+ annoncé par Pietro, dans la partie basse de la fourchette 8B+- 9A proposée par les deux grimpeurs. Le grand écart entre les deux styles et niveaux est assez cocasse, les deux ascensions n’ont vraiment rien à voir ! Choisissez votre camp, puriste minimaliste ou roublard astucieux !

Ensuite, les astuces trouvées par Pietro sont couramment utilisées, comme les genouillères et les gants de fissure, communément utilisées en bloc. Au premier abord, il peut donc paraître évident de les utiliser pour se rendre facile la tâche, car les aficionados des fissures utilisent bien les gants, et la plupart des développeurs ou performers mondiaux en bloc usent de la genouillère à chaque occasion. Mais une donnée nous laisse tout de même perplexe : Pietro a utilisé 4 genouillères, c’est-à-dire deux l’une sur l’autre ? Cela rappelle les débats autour de la libération de « Soudain Seul » par Simon Lorenzi avec un bouquin sous son kneepad pour gagner de l’épaisseur. À quand une combinaison en gomme renforcée sur les articulations pour coincer toutes les parties du corps dans les volumes des grimpes en 3D, notamment en plafond ? Sans parler de l’utilisation quasi systématique du ventilateur par beaucoup de bloqueurs par exemple ? Où va-t’on s’arrêter dans l’artificialisation de notre pratique pour gravir des blocs toujours plus difficiles et gagner un degré ? Ne va-t’on pas trop loin dans la technologisation de notre activité ? Ou alors faut-il accepter toutes ces astuces et innovations et vivre avec son temps ? Le débat est (à nouveau) lancé !
Dernière chose, cette ascension pose aussi la question du processus qui a conduit à la première ascension : Charles a travaillé le bloc tout seul et pieds nus. Il est évident que travailler le projet à plusieurs grimpeurs, notamment munis de chaussons aurait surement permis de lui faire prendre davantage de recul sur les méthodes les plus faciles du bloc, les artifices possibles pour faciliter des mouvements. C’est la deuxième fois que l’une de ses premières ascensions annoncées 9A se fait décoter après « No Kpote Only », qui avait été revu à la baisse par Nico Pelorson à 8C grâce à un talon rendu possible grâce aux chaussons. Le style d’escalade de Charles étant tellement spécifique, tout en grattonnage, tenue de prises, souplesse et déhanchés, qu’il ne l’oblige pas forcément à opter pour les méthodes les plus faciles pour la communauté des grimpeurs qui grimpe avec des chaussons. Travailler des projets avec d’autres grimpeurs forts semble une étape nécessaire pour la fiabilité de ses propositions en 9A.
En tout cas, cette première répétition de ‘L’ombre du voyageur » ne vous laissera surement pas indifférent et ouvre la porte à des débats passionnés ! À poursuivre !

“L’ombre du Voyageur”, a huge 10-meter overhang nestled in Salève (on the Swiss border) freed by our national hero Charles Albert in November 2023, has just been repeated! graded 9A boulder, Charles had of course opened it barefoot, with no footholds, 360° and oppositions, and poor feet. But a video by Pete Whittaker was released this fall, highlighting that other betas were possible using finger locks in the crack and kneebars. It was this option that Italian Pietro Vidi decided to try, and with completely different sequences: with 4 (!) knee pads and 2 crack gloves, Pietro managed to repeat the problem and proposed a downgrading of the boulder to 8B+, proving once again his talent and versatility, just a few days after repeating “Histoire sans fin”. As Pietro has not yet responded to our questions to shed more light on the circumstances of his climb, this achievement nevertheless leads us to several observations and questions.
While Charles opened the boulder in a very pure and clean style, without shoes and without protecting the jams, and Pietro used every trick in the book, we are at opposite ends of the spectrum in terms of climbing style, and yet it is the same problem that has been climbed. In terms of difficulty, it’s also a yo-yo, with on one side a 9A boulder announced, which is none other than the highest proposition in the world of bouldering, and on the other 8B+, which in 2025 is the level of any very strong local climber in their favorite bouldering place. This episode therefore reignites the debate about repetitions and the need to clearly explain the context in which the performances were achieved, as well as to consider the betas or styles used to open the routes in order to be able to compare the sends, because we all agree, and Pietro admits, that the sequence achieved by Charles for the opening is of unprecedented difficulty. Generally, we rate sequences according to the beta commonly considered the easiest, so future repeats will surely be done with tricks to give a difficulty close to the 8B+ announced by Pietro, in the lower part of the 8B+–9A range proposed by the two climbers. The wide gap between the two styles and levels is quite comical, as the two ascents are quite completely different! Choose your camp: minimalist purist or cunning trickster!
Secondly, the tricks found by Pietro are commonly used, such as knee pads and crack gloves, which are commonly used in bouldering. At first glance, it may seem obvious to use them to make the task easier, as crack enthusiasts use gloves, and most world-class boulderers and performers use knee pads at every opportunity. But one fact still leaves us perplexed: Pietro used four knee pads, i.e., two on top of each other? This brings to mind the debates surrounding Simon Lorenzi’s release of “Soudain Seul” with a book under his kneepad to gain thickness. When will we see a rubber suit reinforced at the joints to wedge all parts of the body into the volumes of 3D climbs, especially on roofclimbing? Not to mention the almost systematic use of fans by many boulderers, for example? Where will we stop in the artificialization of our practice to climb ever more difficult boulders and gain a degree? Are we going too far in the technologization of our activity? Or should we accept all these tricks and innovations and move with the times? The debate is (once again) open!
One last thing: this climb also raises the question of the process that led to the first ascent. Charles worked on the boulder alone and barefoot. It’s clear that working on the project with several other climbers, especially those equipped with climbing shoes, would have allowed him to take a step back and consider the easiest methods for the boulder and the possible tricks to facilitate the movements. This is the second time that one of his first ascents announced as 9A has been downgraded after “No Kpote Only,” which was downgraded by Nico Pelorson to 8C thanks to a heel hook made possible by climbing shoes. Charles’ climbing style is so specific, involving toe crimping, crimping, flexibility, that he does not necessarily have to opt for the easiest betas for the climbing community that climbs with climbing shoes. Working on projects with other strong climbers seems to be a necessary step for the reliability of his 9A proposition.
In any case, this first repeat of “L’ombre du voyageur” will certainly not leave you indifferent and opens the door to passionate debate! To be continued!