Trois épisodes d’une websérie ont déjà paru sur le compte de Nolwen Berthier, falaisiste française engagée pour le climat. Accompagnée de scientifiques, Nolwen part à la rencontre du vivant, et met le focus sur la préservation de la biodiversité, que nous avons en tant qu’humains parfois tendance à oublier dans notre mode de vie contemporain et citadin, quand bien même nous sommes des pratiquants en milieu naturel. Une invitation à une prise de conscience !
Quel est ton objectif en produisant et partageant la websérie « Une voie pour la nature » ?
Ce projet est né du constat que nous ne faisons pas face à une crise écologique mais à plusieurs. Aujourd’hui dans notre société, les médias alertent quasi exclusivement autour du dérèglement climatique et les stratégies se concentrent sur les émissions carbone, mais en réalité il y a 8 autres limites (ou frontières) planétaires. Ce sont les équilibres qui assurent l’habitabilité de la planète et que nous menaçons : aujourd’hui nous avons dépassé 7 de ces limites. Et il se trouve que l’une d’entre elle est particulièrement interconnectée à toutes les autres : l’érosion de la biodiversité. Notre planète est littéralement en train de mourir, mais on ne dit rien, et on ne fait pas grand chose. J’ai donc voulu explorer le sujet de notre relation au vivant et transmettre mes apprentissages au plus grand nombre. J’espère que cette websérie permettra de questionner sur notre relation aux autres vivants, explorer d’autres modèles que celui de domination que l’on connait actuellement pour redonner du pouvoir à tous ces êtres vivants avec qui l’on cohabite mais que l’on oublie dans nos décisions du quotidien.

Penses-tu que de manière générale, les grimpeurs qui viennent dehors sont suffisamment sensibilisés sur la biodiversité de manière générale ?
Bien sûr, certains pratiquants sont très sensibles et attentifs à ces aspects, mais ce serait une grossière généralité que de considérer que c’est une majorité. J’ai l’impression que notre communauté est consciente des enjeux climatiques, mais peu actrice dans la réduction de son empreinte. Et qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir sur les enjeux de biodiversité. On collectionne les voies pour pouvoir les rentrer dans 8a.nu, on collectionne les lieux de pratique pour pouvoir dire “j’y suis allé”, on achète de plus en plus de matériel. On consomme les espaces naturels pour notre épanouissement personnel, notre reconnaissance sociale, notre ego… Nous entretenons une incroyable relation de domination avec toutes les espèces qui vivent dans ces espaces naturels (que l’on va jusqu’à appeler nos “terrains de jeu” !) En tant que sportives et sportifs de pleine nature, j’ai le sentiment que l’on bénéficie d’une image “d’écolos” mais que la réalité est différente.
Quelles seraient les actions qui de ton point de vue permettraient une pratique plus responsable de l’escalade à l’heure de la massification de notre activité ?
D’un point de vue individuel, les actions sont assez simples et relèvent souvent simplement du bon sens. Voici quelques exemples :
- Éviter le piétinement : ne pas poser nos sacs sur les plantes, rester sur les sentiers d’approche…
- Éviter les dérangements : changer de secteur en période de nidification, ne pas mettre de la musique, éviter de grimper de nuit…
- Arrêter d’aller tous au même endroit au même moment, se répartir sur les sites et développer notre curiosité pour des sites plus confidentiels (n’y aurait-il pas d’autres secteurs que Céüse?)
- Réduire notre consommation de matériel et choisir des équipements plus durables
- Limiter l’impact carbone de nos déplacements sportifs (est-ce bien raisonnable d’aller à Rockland ?)
Mais l’escalade n’est ici que le révélateur d’un problème bien plus vaste : notre société a besoin d’un changement profond de notre regard sur les autres espèces. Nous devons remettre en question la norme de la domination humaine sur le monde vivant. Il est urgent d’intégrer l’idée que nous faisons nous-mêmes partie du vivant, au même titre que les autres espèces, et de prendre en compte leurs intérêts dans nos décisions, afin de leur redonner une véritable voix.
Dans l’épisode 3, vous abordez la question de la pollution lumineuse la nuit, or on constate sur les réseaux « une mode » à la grimpe de nuit chez les top grimpeurs pour rechercher des conditions. Quel est ton avis sur la question ?
On s’invite déjà dans les habitats de plein d’espèces pendant toute la journée, avons-nous vraiment besoin d’imposer notre présence la nuit, juste pour que la voie ou le bloc nous paraisse un peu plus facile ? Je ne suis pas sûre…

Chez toi vers Marseille, un secteur apparemment magnifique mais interdit au milieu du parc des Calanques, « Fight Club », cristallise les tensions entre grimpeurs et défenseurs de la nature chaque hiver. De manière générale, de plus en plus de restrictions sont imposées dans le Parc National des Calanques. Quel est ton point de vue là-dessus ? C’était nécessaire ?
Selon moi, au-delà des tensions, ce sujet met en lumière plusieurs nœuds du rapport entre pratiques sportives de pleine nature et protections des espèces :
- le manque de dialogue – et surtout de confiance – entre organismes défenseurs de l’environnement et communautés sportives
- le manque d’implication de certaines parties de notre communauté sur ces sujets d’interdiction des secteurs (notamment le haut niveau)
- notre incapacité à remettre en question notre tendance à l’expansion. On présente souvent notre occupation des espaces à travers le nombre de voies équipées mais est-ce un critère suffisant ? On pourrait par exemple intégrer des critères sur l’intérêt des secteurs comme : trouve-t-on ce type de caillou dans un rayon de proximité et avec quelle qualité ? Trouve-t-on ce niveau de difficulté dans un rayon de proximité ? Par exemple, Fight Club, c’est le seul secteur de haut niveau des Calanques et le seul secteur de couenne sur conglomérat du département…
- la dualité entre “protection des espèces” et “dérèglement climatique”. Quand un secteur des Calanques ferme ce sont des centaines de kilomètres supplémentaires qui sont fait en voiture (ou en avion) par les grimpeurs locaux pour aller “impacter ailleurs”. Est-ce mieux ? Ça m’interroge.
C’est un dossier très complexe, qui m’a beaucoup questionnée et qui nécessiterait à mon sens un travail d’investigation poussé pour donner de réelles clés de compréhension à la communauté…
Dans un monde parfait, à quoi aimerais-tu aspirer en tant que grimpeuse ? Quels sont les défis écologiques que tu aimerais voir être appréhendés/surmontés par le monde de l’escalade dans une perspective de court, moyen et long terme ?
J’aimerais que notre communauté de grimpeuses et de grimpeurs dépasse la logique consumériste et individualiste qui est en train de s’installer pour aller vers davantage de mixité, d’ouverture et de générosité. J’aimerais que la pratique de l’escalade renforce le lien social, le partage et l’entraide, plutôt que de se focaliser exclusivement sur la performance, qu’elle soit sportive ou économique. Que l’on ne pense pas qu’à soi, mais aussi aux besoins et aux urgences de notre société. Finalement, c’est très lié au sujet de ma websérie : prendre soin du vivant, c’est aussi vivre en meilleure harmonie entre humains. J’aimerais que nous nous demandions collectivement : comment rendre à la communauté et aux territoires autant que ce qu’ils nous offrent ?
Photo de couverture : Thomas Di Giovanni

Three episodes of a web series have already appeared on the account of Nolwen Berthier, a French rock climber committed to climate action. Accompanied by scientists, Nolwen sets out to encounter living creatures and focuses on the preservation of biodiversity, which we as humans sometimes tend to forget in our contemporary, urban lifestyles, even though we are climbing outdoors. An invitation to raise awareness!
What is your goal in producing and sharing the web series “Une voie pour la nature” (A Path for Nature)?
This project was born out of the realization that we are not facing one ecological crisis, but several. Today in our society, the media focuses almost exclusively on climate change and strategies concentrate on carbon emissions, but in reality there are eight other planetary boundaries. These are the balances that ensure the planet’s habitability, and we are threatening them: today we have exceeded seven of these limits. And it turns out that one of them is particularly interconnected with all the others: the erosion of biodiversity. Our planet is literally dying, but we say nothing and do little about it. So I wanted to explore the subject of our relationship with living things and share what I have learned with as many people as possible.
I hope that this web series will encourage us to question our relationship with other living beings, explore models other than the one of domination that we currently know, and empower all those living beings with whom we coexist but whom we forget in our everyday decisions.
Do you think that, in general, climbers who come outdoors are sufficiently aware of biodiversity in general?
Of course, some climbers are very sensitive and attentive to these issues, but it would be a gross generalization to consider that this is the majority. I feel that our community is aware of climate issues, but does little to reduce its footprint. And that there is still a long way to go on biodiversity issues. We collect routes so we can enter them on 8a.nu, we collect places to climb so we can say “I’ve been there,” we buy more and more equipment. We consume natural spaces for our personal fulfillment, our social recognition, our ego… We maintain an incredible relationship of domination with all the species that live in these natural spaces (which we even call our “playgrounds”!). As outdoor sports enthusiasts, I feel that we benefit from an “eco-friendly” image, but the reality is different.
In your opinion, what actions would enable more responsible climbing practices at a time when our activity is becoming increasingly popular?
From an individual perspective, the actions are fairly simple and often just common sense. Here are a few examples:
- Avoid trampling: don’t put your bags on plants, stay on the approach trails, etc.
- Avoid disturbing wildlife: change areas during nesting season, don’t play music, avoid climbing at night, etc.
- Stop all going to the same place at the same time, spread out across different sites, and develop our curiosity for lesser-known sites (are there no other areas besides Céüse?).
- Reduce our consumption of equipment and choose more sustainable gear.
- Limit the carbon impact of our sports trips (is it really reasonable to go to Rockland?).
But climbing is only the tip of the iceberg here: our society needs a profound change in the way we view other species. We must question the norm of human domination over the living world. It is urgent that we embrace the idea that we ourselves are part of the living world, just like the animals and plants around us.

In episode 3, you address the issue of light pollution at night, yet we are seeing a trend among top climbers to climb at night in search of the right conditions. What’s your opinion on this issue?
We already intrude on the habitats of many species throughout the day, so do we really need to impose our presence at night, just to make the route or boulder seem a little easier? I’m not so sure…
Near your home in Marseille, a seemingly magnificent but off-limits area in the Calanques National Park, known as “Fight Club,” crystallizes the tensions between climbers and nature conservationists every winter. In general, more and more restrictions are being imposed in the Calanques National Park. What is your view on this? Was it necessary?
In my opinion, beyond the tensions, this issue highlights several key points in the relationship between outdoor sports and species protection:
- the lack of dialogue—and above all trust—between environmental organizations and sports communities
- the lack of involvement of certain parts of our community on these issues of area closures (particularly at the high level)
- our inability to question our tendency to expand. We often present our occupation of spaces through the number of equipped routes, but is this a sufficient criterion? We could, for example, integrate criteria on the interest of sectors such as: can this type of rock be found within a close radius and with what quality? Is this level of difficulty found within a nearby radius? For example, Fight Club is the only top-level sector in the Calanques and the only sector of conglomerate rock in the department…
- The duality between “species protection” and “climate change.” When an area of the Calanques closes, local climbers have to travel hundreds of extra kilometers by car (or plane) to go and “impact elsewhere.” Is that better? I wonder.
It’s a very complex issue, one that has raised a lot of questions for me and which, in my opinion, would require in-depth investigation to provide the community with real keys to understanding…
In a perfect world, what would you aspire to as a climber? What environmental challenges would you like to see addressed/overcome by the climbing world in the short, medium, and long term?
I would like our community of climbers to move beyond the consumerist and individualistic mindset that is taking hold and toward greater diversity, openness, and generosity. I would like climbing to strengthen social ties, sharing, and mutual aid, rather than focusing exclusively on performance, whether athletic or economic. I hope we can think not only of ourselves, but also of the needs and urgencies of our society. Ultimately, this is closely related to the theme of my web series: caring for living things also means living in greater harmony with other humans. I would like us to ask ourselves collectively: how can we give back to the community and the regions as much as they give us?
Cover pic: Thomas Di Giovanni



