Depuis qu’elle partage sa vie avec son mari James Pearson, Caroline Ciavaldini s’est sérieusement mise au trad’, répétant de nombreux E8 ou E9 outre-Manche cette dernière décennie comme “Olwen”, “Chapacabra” ou encore “Gaia”. Mais c’est bien en France à Annot que Caroline a sévi dernièrement avec la 2ème féminine (après Babsi Zangerl) d’une des voies de trad’ les plus difficiles de France, “Le Voyage” (E10 7a) à Annot, malgré un emploi du temps chargé. Un come-back impressionnant pour cette maman de deux enfants ! Caroline revient sur sa réalisation avec un récit très personnel :
“Je suis au repos au 2/3 du “Voyage”. Pour la première fois, j’ai passé le deuxième crux, un bloc en 7A+ très long et technique, quelques mètres au-dessus de ma dernière protection, un RP n°6. Juste avant de commencer le crux, j’ai entendu James, Arthur, 4 ans, et Zozo, 2 ans, m’encourager depuis le bas. James et les enfants s’étaient fait discrets auparavant, peut-être parce que James espérait me donner plus de place pour me concentrer, car Zozo me demande constamment en ce moment. Mais juste avant le crux, je voulais qu’ils soient là. Être mère, c’est perturbant pour l’escalade, mais en même temps, ce sont mes proches. Je regarde aussi Raph, accroché à une stat’… Il est là aujourd’hui car il devait filmer James dans “Bon Voyage”, sa dernière voie dure, et il en a profité pour filmer ma tentative. Carl et Antoine sont là aussi, ils assurent et prennent d’autres vidéos depuis le bas. Carl a fait quelques blagues légères pendant que je mettais mes chaussons d’escalade, et j’étais tout à fait conscient qu’il essayait, et réussissait, à me mettre dans le bon état d’esprit. C’est vraiment important pour moi que ces personnes soient là aujourd’hui. Je les sens me pousser doucement vers le haut. J’ai fait le plus dur, et de loin, et il m’a fallu deux ans pour en arriver là où je suis aujourd’hui. Deux ans pour me remettre du deuxième bébé, avec l’aide constante de Maddie Cope et de Lattice. Les gens disent que tomber enceinte n’est pas une blessure… Je dirais que c’est bien pire pour ta grimpe que n’importe quelle poulie (j’en ai eu 2) ou autre blessure de grimpeur.
“Le Voyage” se termine par une dernière section facile sur un rocher assez mauvais et une fissure finale autour de 7b+, d’où l’on se détesterait si l’on tombait… et pourtant c’est possible. Je me repose et j’essaie de canaliser mon dialogue interne. J’ai ce qu’il faut, mais j’ai besoin de bien grimper. Les émotions sont toujours là… peur d’échouer, peur de casser une prise et de tomber, peur de trop serrer, de glisser… Mon cerveau ne s’arrête pas, tout comme il l’a fait au repos avant le crux. Ca fait tellement longtemps que je n’ai pas mis de projet aussi dur pour moi que je ne sais plus comment je faisais pour calmer mon esprit avant d’être mère. Est-ce que j’ai toujours eu ce dialogue interne ?
“Le Voyage” est mon projet le plus long. 2 ans. Mais en même temps, en tant que grimpeuse parent, il faut prendre les choses différemment. Il n’y a pas beaucoup de tentatives lors d’une journée d’escalade… Techniquement, je n’en ai qu’une à la minute où Zoellie s’endort. Nous avons déjà fait de l’assurage en tête avec elle à l’arrière dans un porte-bébé lorsqu’elle était plus petite, mais cela ne fonctionnerait plus aujourd’hui. On vérifiz les prévisions météorologiques en permanence, mais on doit toujours trouver un équilibre entre objectifs et vie de la famille. On a besoin de beaucoup plus de patience, mais on est aussi beaucoup plus patients parce qu’e vous apprene’on apprend avec les bébés. La vie de famille impose un rythme de vie, ce qui a été bénéfique pour l’entraînement. J’ai dû m’entraîner énormément pour revenir à mon niveau antérieur… puis renforcer mes épaules parce que “Le Voyage” est si exigeant. J’ai même fait un entraînement spécifique pour les jambes. Je n’ai jamais été aussi spécifique. Mais je ne pense pas avoir été obsessionnelle. Je ne peux pas. Parce que je suis encore une maman. En premier ? Je ne sais pas… il est certain que j’ai parfois volé du temps à mes enfants pour m’entraîner. Je suis un peu égoïste. Mais j’ai été très heureuse de créer cet espace pour mon escalade. Cela m’a permis de redevenir Caroline de nouveau.
La culpabilité, la culpabilité de la mère, est également au menu de mon dialogue interne. Et après des mois, j’ai pris la décision de trouver un préparateur mental. La dernière fois que j’en ai eu un, j’étais compétitrice en coupe du monde. J’avais alors considéré pendant des années que j’étais autonome, mais pour cette voie, j’ai réalisé que demander l’aide des gens (les bonnes personnes) ne ferait que me rendre plus forte. Angus de Strong Mind m’a aidé à écouter, accepter et canaliser tout ce dialogue interne. J’avais très peur de tomber, et nous avons réglé cela très rapidement. J’ai toujours ce dialogue, mais au lieu de paniquer quand mon cerveau se met en marche, j’écoute, je trie et j’utilise ce qui est utile. La pleine conscience, voilà le mot. Surtout, Maddie, Angus, mais aussi Carl et James m’ont aidé à apprécier tout le processus. Cela n’en vaut la peine que si j’apprécie tout, même les doutes. Parfois, c’est un “plaisir de type 2”, comme disent les Britanniques… Quand j’étais terrifiée à l’idée de tomber dans le premier crux, c’était un plaisir de type 3. Je ne l’ai pas apprécié quand c’est arrivé, ni quand je l’ai visualisé. Je n’ai réussi à l’apprécier que lorsque j’ai supprimé l’émotion de ma visualisation. J’ai simplement laissé la sensation des mouvements, j’ai essayé de faire le vide, ou mieux encore, d’apprécier la peur, et c’est tout. Le déclic s’est produit, et soudain j’ai pu être dans mon escalade et en apprécier la plus grande partie.
Au bout d’un moment, j’ai recommencé à grimper. Je ne me sentais pas vaillante, mais je ne peux pas tergiverser indéfiniment. D’une manière ou d’une autre, j’exécute les derniers mouvements juste comme il faut, et je sais que pour les deux derniers mouvements, je dois simplement profiter de tout. J’ai terminé “Le Voyage”, ma voie de trad’ la plus difficile. Quand je l’ai essayée pour la première fois il y a 5 ans, je n’arrivais même pas à faire tous les mouvements, et j’étais consciente que ce style technique et puissant n’était pas mon point fort. Je n’avais pas d’enfants à l’époque, James venait d’ouvrir la voie et elle me semblait inaccessible. Je n’ai commencé à y penser qu’après la naissance de Zozo. J’aime beaucoup voir que mes limites mentales ont changé. Ma patience a augmenté. Il est temps d’être fière de moi.
Merci beaucoup à Maddie et Lattice pour l’entraînement, Angus pour la préparation mentale, Carl pour l’assurage et l’amitié, James pour tout, mes enfants pour leur patience, Marie pour le babysitting, Emmanuelle pour la kiné, The North Face et Respire performance pour le programme NSP, La Sportiva, Wild country , Sunn et Glorify, et toutes les personnes qui me poussent à me dépasser tous les jours !”
Photo de couverture : Raph Fourau
On Wednesday the 8th of November 2023, French climber Caroline Ciavaldini repeated ‘Le Voyage’’ (E10 7a/ 8b+) in Annot, France. The route, first established by Caroline’s Husband James Pearson in 2017, has seen only one previous female ascent, from Barbara Zangerl. The ascent marks the first time Caroline has climbed the E10 grade and places her among a very small handful of women to have ever succeeded on a trad-route at this level. Caroline’s rare ascent comes two years after becoming a mother for the second time, making this ascent and Caro’s journey all the more impressive. Caroline shared this story of her ascent:
“I am resting at the middle break, 2/3 up “Le Voyage”. For the very first time, I have passed the second crux, a very long and technical 7A+ boulder, quite a few meters above my last protection, a No. 6 RP. Just before beginning the crux, I heard James, 4-year-old Arthur, and 2-year-old Zozo cheering me from below. James and the kids were hiding before, maybe because James was hoping to give me more space to focus, as Zozo constantly asks for me today. But right before the crux, I wanted them to be there. Being a mom is disturbing for your climbing, but at the same time, they are my people. I also look straight up at Raph, who is hanging on a static… He is here today as he was supposed to film James in “Bon Voyage,” his latest hard route, and has made the most of it to film my attempt. Carl and Antoine are here too, belaying and taking more video from below. Carl made some light jokes as I was putting my climbing shoes on, and I was super aware that he was trying, and succeeding, to create just the right mood for me. It does really matter to me to have these people here today. I can feel them gently pushing me up. I have done the hardest by far, and it has taken me 2 years to be where I am today. 2 years to get back from baby number 2, with the constant help of Maddie Cope and Lattice. Getting pregnant, people say, isn’t an injury… I would say it’s way worse for your climbing than any pulley (I had 2) or other climber’s injury. “Le Voyage” finishes with a last easy section on fairly bad rock and a final crack around 7b+, from which you would hate yourself if you fell… yet you could. I am resting and trying to channel my internal dialogue. I have what it takes, but I need to climb well. Emotions are always there… fear of failing, fear of breaking a hold and failing, fear of over-gripping, of slipping… My brain won’t stop, just like it did at the rest before the crux. It’s been so long since I was last trying so hard that I don’t know what I was doing to sort that before being a mom. Did I always have all this internal dialogue? “Le Voyage” is my longest project ever. 2 years. But at the same time, as a climbing parent, you have to take things differently. You don’t get many attempts on a climbing day… technically, I only get one at the minute when Zoellie snoozes. We have belayed on lead with her in the back in a baby carrier when she was smaller, but that wouldn’t work now. You check the weather forecast all the time, but you still have to balance your goals with the family’s life. You need so much more patience, but you are also so much more patient because that’s what babies teach you. Family life gives you more rhythm, and that has been good for training. I have had to train so much just to get back to my former level… then reinforce my shoulders because “Le Voyage” is so demanding. I have even done some specific leg training. I have never been as specific. But I don’t think I have been obsessive. I can’t. Because I am still a mom. First? I don’t know… for sure maybe sometimes I have been stealing some time from my children for my training. I am somewhat selfish. But it’s made me very happy to create that space for my climbing. It has made me be Caroline again. Guilt, mom’s guilt, is also on the menu in my internal dialogue. And after months of that, I had taken the decision to find a mental trainer. The last time I had one, I was a World Cup competition climber. I had then considered for years that I was self-sufficient, but for this route, I have realized that asking people’s (the right people) help will just make me stronger. Angus from Strong Mind has helped me listen, accept, and channel all this internal dialogue. I had a lot of fear of falling, and we sorted that, so fast. I still have the dialogue, but rather than freaking out when my brain begins, I listen, I sort, and I use what is useful. Mindfulness, that’s the word. Most of all, Maddie, Angus, but also Carl and James have helped me enjoy the whole process. It is only all worth it if I enjoy it all, even the doubts. Sometimes it’s “type 2 fun,” as the Brits say… When I was terrified of falling on the first crux, that’s type 3 fun. I didn’t enjoy it when it happened, nor when I visualised it. I only managed to enjoy it when I actually removed the emotion from my visualisation. I just left the sensation of the movements, tried to be blank, or even better, enjoy the fear, and that was it. It clicked, and suddenly I could be in my climbing and enjoy most of it. At some point, I begin climbing again. Not that it feels perfect, just, I can’t procrastinate forever. Somehow, I am executing the last movements just right, and I know that for the last 2 movements, I must just enjoy it all. I have finished “Le Voyage,” my hardest trad route ever. When I first went up it 5 years ago, I couldn’t even do all the movements, and I was aware that this technical, bouldery style wasn’t my best point. I had no children at the time, James had just opened the route, and it seemed unattainable. I only began thinking of it after Zozo was born. I really love to see that my mental limits have changed. My patience has increased. Time to be proud of myself. Thanks a lot to Maddie and Lattice for the training, Angus for the mental training, Carl for the belaying and friendship, James for everything, my children for their patience, Marie for babysitting, Emmanuelle for the physio, The North Face and Respire performance for the NSP program, La Sportiva, Wild country , Sunn and Glorify, and all my people who push me up every day!”
Cover Pic: Raph Fourau