Morgan Monet et Romain Rogue viennent de concrétiser un beau projet pour lequel ils se sont entrainés pendant toute la période hivernale : passer le mois de juillet au Pic St-Loup afin de réaliser deux voies dures de la falaise. 1er juillet, le processus est lancé : les jours s’enchaînent avec 2 jours de grimpe puis 2 jours de repos obligatoire afin de récupérer. Limités à 2 essais par jour, chaque montée est mesurée, définie et finement tactique. Au 25ème jour, le vent mystique de la croix porta Romain au relais de “Hélix”, suivi 2 heures plus tard par Morgan qui rétablit au sommet du Pic St-Loup. “Hélix” et “Moksha” ont un départ commun et se divisent sur la fin, les deux compères ont donc partagé un projet commun et mutualisé leurs méthodes tout en ayant chacun leur objectif propre. Retour avec eux sur cette expérience sympa.
– Commençons par les présentations, quel est votre vécu en escalade ?
-Morgan : Morgan, grimpeur, entraîneur, rêveur. J’ai 26 ans, et grimpe depuis maintenant 20 ans. Je suis passionné de la verticalité sous toutes ses formes : couenne, grande voie, bloc, traversé, DWS, ouverture en salle… Loin d’être talentueux en escalade, j’ai fait mes gammes dans la région Lyonnaise puis Nantaise. J’ai rapidement rêvé d’être suffisamment fort pour pouvoir essayer n’importe quelle Kingline d’un secteur. Afin d’atteindre ce but, je me passionne naturellement pour l’entraînement, l’ouverture et la progression en escalade. Aujourd’hui, cette énergie est ma contribution au club Drac Vercors Escalade où j’entraîne les jeunes talents Grenoblois.
– Romain : Je grimpe depuis mes 5 ans avec mes parents principalement en extérieur. Je suis par la suite rentré au club vosgien de Masevaux où j’ai commencé la compétition. J’étais cependant bien plus animé par l’escalade en milieu naturel, la découverte d’un nouveau lieu, les rencontres que l’on peut faire et la diversité du rocher. J’ai découvert la grande voie, en France puis en Suisse. J’ai très vite accroché, et plein de projets ont commencé à mûrir. Arrivé à Grenoble pour mes études supérieures en STAPS, j’ai commencé à m’intéresser à l’entraînement. Je me suis tout d’abord entraîné tout seul, puis avec Morgan. Puis la volonté de progresser m’a amené à contacter Kévin Arc avec qui j’ai tout de suite accroché. Le processus était lancé.
– Comment est née cette idée et ce projet ? Comment avez vous choisi les voies et l’endroit ? Vous les aviez déjà essayé ?
– Morgan : Après le premier confinement il y a trois ans, je sortais d’une période de vie compliquée. J’ai décidé d’optimiser cette période pour atteindre une nouvelle cotation, le 8b+. Et me voilà au pic St Loup avec des amis et notamment Alex Chabot qui enchaînait “Moksha” rapidement lors de notre séjour. Ce moment fort inspirant, ainsi que l’enchaînement de “Snails paradise” (premier 8b+) m’ont laissé un souvenir unique de cette baume aux escargots.
On s’entraîne ensemble de manière régulière depuis plus d’un an et l’envie de refaire un trip grimpe afin de dépasser nos limites s’est vite dessinée. Il fallait que le projet remplisse un certain nombre de critères : Une kingline, d’un niveau suffisamment dur pour être challengeant, un spot permettant de grimper l’été et des voies de rêve dans un style qui nous plaît. Le pic était la falaise idéale. L’idée de partager une même section de voie mais pas la voie en entier était séduisant. Cela permet de caler plus rapidement les séquences communes à deux (surtout qu’on a l’habitude de s’entraîner ensemble) et aussi d’avoir chacun notre défi qui nous parle individuellement.
Pas question de passer une vie dans la voie, on aime beaucoup trop la variété, le “à vue” pour s’acharner éternellement. L’idée était alors assez simple, 1 mois pour réaliser le projet. Romain, découvrant la baume pour la première fois, se tourne vers “Helix au pays des merveilles”, 8c+ qui bifurque vers une immense colonnette. Un véritable bijou de la nature. Ce choix s’est fait notamment par la beauté de la ligne et la volonté de réaliser une voie dont la première ascension féminine revient à Nina Caprez.
Morgan porte son choix vers “Moksha” 9a qui tourne à gauche pour rayer l’ensemble de la falaise et rétablir au sommet.
On a fait le choix de garder la surprise totale. 9 mois d’entraînement spécifique acharné puis au 1er juillet, nous voilà au pied de la voie pour commencer l’aventure.
Le projet s’appelle “le Nina Project”.
Nina project est un jeux de mots avec la cotation 9a, “Nine a” en anglais. L’idée étant de pouvoir parler librement du projet avec Romain toute en gardant de la discrétion sur notre entreprise.
Le projet Nina prend tout son sens lorsque Morgan choisi de se lancer dans Moksha, mais aussi lorsque que Romain fait le choix de Hélix, ex projet de Nina Caprez.
– Comment s’est passé la préparation avant juillet ? Quel training spécifique avez-vous mis en place ?
En novembre une fois le projet défini, l’entraînement spécifique commença avec l’aide de Kevin Arc. On souhaitait se décharger mentalement du plan d’entraînement, s’entraîner ensemble, tout en gardant de l’individualisation au sein des séances. Quatre fois par semaine le rendez-vous était pris pour s’entraîner ensemble.
Les voies sont dans du gros dévers avec des sections de bloc entrecoupées de repos, offrant un effort d’endurance et de récupération pour atteindre le relais. On a principalement travaillé sur pan afin de reproduire facilement l’effort demandé et faciliter l’autonomie lors de la séance. Pour nous, ce fut une période intense, on a littéralement fait les hamsters sur le pan et les homards en serrant les pinces. ( Ô marre d’être un hamster)
Concilier la fin d’études pour Romain, notre travail en tant qu’entraineur et la charge d’entraînement était très sollicitant. Vivre le processus d’entraînement à deux nous a permis de maintenir un haut niveau de régularité et de motivation. S’entraîner pour une ligne que l’on ne connait pas peut être frustrant. C’est pourquoi nous avons regroupé un maximum d’informations sur la voie grâce aux vidéos présentes en ligne et avec les suggestions de personnes ayant déjà essayées. Merci à Fanatic pour la vidéo de Kathy, on a gardé beaucoup de méthodes !
– Comment s’est déroulé le processus en juillet et les progrès dans vos voies ?
Au premier juillet, nous y voilà, lors de la découverte de la baume, l’excitation est à son paroxysme.
Jour 1: Romain réalise l’intégralité des mouvements et Morgan la première partie de la sienne. De bonne augure. Morgan sait que lorsqu’on réussit tous les mouvements d’une voie, ce n’est qu’une question de temps avant d’enchaîner.
Les grimpeurs locaux présents lors de cette première semaine nous ont permis d’optimiser les séquences et ainsi nous ont fait gagner un temps précieux. Merci à eux de nous avoir concocté une panoplie de variantes possibles.
Physiquement, nous étions limité à 2 montées par jour, ce qui nous a forcés à être stratégiques. Chaque montée avait un objectif précis afin d’optimiser au mieux les sections. Morgan tenait à jour un carnet de bord avec la réalisation ou non de chaque objectif et les nouveaux apprentissages de chaque montée. Cela a permis de constater le moindre progrès et de rester confiants sur le processus de travail.
A partir de la seconde semaine seulement, nous avons commencé à mettre des runs du bas, permettant de vivre les sections dans l’effort et ainsi ajuster et optimiser les séquences. La progression dans la voie a énormément fluctué. Certains jours on pouvait réaliser de belles sections, quant à d’autres on n’arrivait plus à effectuer le premier crux.
Au bout de 2 semaines, après des journées très chaudes et un arrachage d’un bout de colonnette dans le départ des voies par Romain, une pause de 4 jours fut nécessaire. Un besoin de se reposer autant physiquement que mentalement. La présence des copains et la fraîcheur de la rivière nous ont amenés à nous reposer dans les gorges du Tarn. Reposés, nous retournons au pic avec les crocs. L’optimisation et l’assimilation de la voie se fait de plus en plus ressentir.
A partir du 9eme jour dans la voie, Romain tombe au niveau de la traversée de Hélix, gagnant au fur et à mesure une prise de plus. Morgan quant à lui se concentre sur le calage de la deuxième partie de la voie.
“Mieux vaut ne jamais commencer, une fois qu’on a commencé, mieux vaut finir” (Dan Millman dans le guerrier pacifique)
Au 12ème jour le vent souffle dans la baume. Un premier essai non fructueux a été réalisé par Romain. Puis après deux essais de Morgan chutant au premier crux de la voie, le moral est au plus bas. Peu de temps après, Romain atteint le relais de “Helix au pays des merveilles”. Une première libération qui porta par la suite Morgan au sommet de la baume. Lui qui avait uniquement l’intention de réussir le premier crux. Nous avions rêvés de ce double enchaînement et nous l’avons obtenu. Un scenario inattendu qui marqua la fin du projet. Nous sommes le 25 juillet, après 12 jours de travail et une petite vingtaine d’essais, le défi est réussi !
– Un petit film rétrospectif sortira cet automne sur votre entreprise. Quel message voulez vous porter ?
Avec cette vidéo, nous souhaitons mettre en lumière la beauté du lieu et de son escalade. Mais aussi mettre en avant l’aspect répétitif du travail d’une voie, montrer que la confrontation à l’échec est quelque chose de subjectif et que les seuls mots d’ordre sont patience et confiance.
Photos : Emile Pino – PinoPictures
Morgan Monet and Romain Rogue have just completed a project they’ve been training for all winter: to spend July at Pic St-Loup climbing two hard routes on the crag. On July 1, the process started: 2 days of climbing followed by 2 days of rest. Limited to 2 attempts per day, each go is counted and finely tactical. On day 25, the mystical wind of the send carried Romain to the anchor of “Hélix”, followed 2 hours later by Morgan who recovered at the summit of Pic St-Loup. With “Hélix” and “Moksha” having a common start and splitting up at the end, the two companions shared a common project and mutualized their betas, while each having their own respective goal. More details about the experience below.
– Let’s start with some presnetations. What about your background in climbing?
-Morgan: Morgan, climber, trainer, dreamer. I’m 26, and have been climbing for 20 years now. I’m passionate about vertical climbing in all its forms: sportclimbing, multipitch, bouldering, traverses, DWS, indoor, etc. Far from being a talented climber, I started out in the Lyon and Nantes regions. I soon dreamed of being strong enough to try any Kingline in the area. To achieve this goal, I naturally developed a passion for training, routesetting and making progression in climbing. Today, this energy has contributed to the Drac Vercors Escalade club, where I coach the young talents of Grenoble.
– Romain: I’ve been climbing since I was 5, mainly outdoors with my parents. Then I joined the Vosges climbing club in Masevaux, where I started competing. But I was much more interested in climbing in a natural environment, discovering a new place, meeting new people and discovering the diversity of rock. I discovered multi pitch climbing, first in France and then in Switzerland. I quickly got hooked, and lots of projects began to mature. When I moved to Grenoble for my post-graduate studies in STAPS, I became interested in training. At first, I trained on my own, then with Morgan. Then my desire to progress led me to contact Kévin Arc, with whom I hit it off straight away. The process was launched.
– How did this idea and project come about? How did you choose the lines and the location? Had you tried them before?
– Morgan: After the first lockdown three years ago, I was coming out of a complicated period in my life. I decided to make the most of this period to reach a new grade, 8b+. And here I was at Pic St Loup with friends, including Alex Chabot, who was rapidly climbing “Moksha” during our stay. This inspiring moment, along with “Snails paradise” (first 8b+), left me with a unique memory of the Baume aux escargots. We’ve been training together on a regular basis for over a year, and the desire to do another climbing trip to push our limits quickly became apparent. The project had to meet a number of criteria: a kingline that was hard enough to be challenging, a spot where we could climb in summer and dream routes in a style we liked. The Pic St-Loup was the ideal cliff. The idea of sharing the same section of route but not the whole route was attractive. It allows us to set up common sequences more quickly (especially as we’re used to train together) and also to each have our own challenge that speaks to us individually.
There’s no question of spending a lifetime on the route – we like variety and “on sight” far too much to go on forever. The idea was simple: 1 month to complete the project. Romain, discovering the crag for the first time, turned to “Helix au pays des merveilles”, an 8c+ that branches off into a huge tufa. A true gem of nature. The beauty of the line and the desire to climb a route for which Nina Caprez was the first female climber were the main reasons for his choice.
Morgan’s choice was “Moksha” 9a, which turns left to stripe the entire cliff and finished at the summit.
We decided to keep it a total surprise. 9 months of relentless specific training, and on July 1, we were at the ground to begin the adventure.
The project is called “The Nina Project”. Nina project is a play on words with the 9a grade, “Nine a” in English. The idea was to be able to talk freely about the project with Romain, while maintaining discretion about our company. The Nina project took on its full meaning when Morgan chose to launch “Moksha”, but also when Romain chose Hélix, Nina Caprez’s former project.
– How did you prepare before July? What specific training did you put in place?
In November, once the project had been defined, specific training began with the help of Kévin Arc. We wanted to take the mental load off the training plan and train together, while retaining individualized sessions. Four times a week, we made a metting to train together.
The routes are on big overhangs with bouldering sections with rests, offering endurance and recovery to reach the anchors. We mainly worked on borads to easily reproduce the effort required and facilitate autonomy during the session. For us, it was an intense period, literally doing hamsters on the gym and lobsters holding the pinchs. ( O sick of being a hamster) Reconciling Romain’s graduation, our work as trainers and the training load was very demanding. Experiencing the training process together enabled us to maintain a high level of regularity and motivation. Training for a line you don’t know can be frustrating. That’s why we’ve put together as much information as possible about the route, thanks to the videos available online and suggestions from people who’ve already tried it. Thanks to Fanatic for Kathy’s video, we’ve saved a lot of betas!
– How was the process in July, and how did you get on with your redpoints?
Here we are on the first of July, when we discover the cave, and the excitement is at its peak.
Day 1: Romain does all the moves and Morgan the first part of his project. A good omen. Morgan knows that once you’ve mastered all the moves on a route, it’s only a matter of time before you go on to the next one.
The local climbers present during this first week enabled us to optimize the sequences and thus save precious time. Many thanks to them for concocting a panoply of possible variations.
Physically, we were limited to 2 goes per day, which forced us to be strategic. Each climb had a precise objective, so that we could optimize our sections as much as possible. Morgan kept an up-to-date logbook with the achievement or non-achievement of each goal and the new learnings from each go. This made it possible to see the slightest progress and remain confident about the redpoint process.
It was only in the second week that we started to put in proper goes from the ground, enabling us to experience the sections through the effort and thus adjust and optimize the betas. Progress on the route fluctuated enormously. Some days we could do great sections, while on others we couldn’t manage to do the first crux.
At the end of 2 weeks, after some very hot days and Romain braking off a piece of tufa at the start of the routes, we needed a 4-day break. A need to rest both physically and mentally. The presence of our friends and the coolness of the river led us to take a rest in the gorges dy Tarn. Refreshed, we returned to the Pic St-Loup motivated. The optimization and assimilation of the route is becoming increasingly apparent.
From the 9th day on the route, Romain fell at the traverse in “Hélix”, gaining one more hold as he goes along. As for Morgan, he concentrates on setting up the second part of the route.
“It’s better never to start, but once you’ve started, it’s better to finish” (Dan Millman in The Peaceful Warrior).
On day 12, the wind was blowing in the cave. Romain’s first attempt was unsuccessful. Then, after two attempts with Morgan falling at the first crux of the route, motivation was low. Shortly afterwards, Romain reached the “Helix au pays des merveilles” anchor. A first liberation that carried Morgan to the top of the cave. He had only intended to succeed in the first crux. We had dreamed of this double send and we got it. An unexpected scenario that marked the end of our project. It’s now July 25, and after 12 days work and some 20 goes, the challenge has been completed!
– A short retrospective film about your project will be released this autumn. What message would you like to share?
With this video, we want to highlight the beauty of the crag and its climbing. But also to highlight the repetitive aspect of working a route, to show that confronting failure is something subjective and that the only watchwords are patience and confidence.
Photos : Emile Pino – PinoPictures