Moins d’un an après la naissance de son enfant, Nina Caprez revient aux affaires en grande-voie avec une répétition de “Yeah Man” dans les Gastlosen en Suisse, en cordée avec Pauline, sa fille au pair ! Cette grande-voie offre 9 longueurs soutenues pour 350 mètres de long avec des difficultés en 8a/+ en dalle dures à négocier avant un crux en avant-dernière longueur (45m, 8b+). Equipée par François Studemann et Guy Scherreren 1998, la voie est réputée comme la plus dure de la Face du Nord du Grand Pfadflue. Le 1er Août 2010 Giovanni Quirici réalisa la première ascension de l’intégralité de la voie en libre. Victime d’une mort tragique à l’été 2012, dans la voie “Le chant du cygne”, en la face Nord de l’Eiger, Cédric Lachat était allé lui rendre hommage en signant la seconde ascension en 2019. Siebe Vanhee et Lukas Sager l’ont imité. Nina signe donc ici la 5ème ascension et la première féminine de la voie en one push, Josune Bereizartu ayant réussi les longueurs séparément en 2004 mais sans réussir l’intégrale en libre du sol en raison de conditions météos exécrables. “Yeah Man” est ainsi une nouvelle voie alpine à l’actif de Nina qui avait déjà auparavant réussi d’autres musts du style comme “Silbergeier” ou “Unendliche Geschichte” au Rätikon.
Presque une année après la naissance de ton enfant tu reviens au top en grande-voie, ton domaine de prédilection. Quel est ton ressenti ?
Alors, mon ressenti dans une grande voie après une année de la naissance. Pour être honnête, il m’a fallu un peu de courage pour aller dans les Gastlosen. J’avais fait ma première grande voie depuis un an en mai avec Lynn Hill et j’ai eu beaucoup d’appréhensions. Du coup je me suis posé la question si c’était une bonne idée d’attaquer ce projet.
Mais finalement, mon compagnon Jérémy m’a un peu poussé et je dois dire que ça c’est extrêmement bien passé. Dès notre arrivée à Jaun j’ai senti que j’étais au bon endroit. J’ai adoré de prendre le “lead” pour ce projet, accompagné de ma fille au paire Pauline dans le mur, et soutenue par Lia et Jérémy en bas au camion.
Pourquoi avoir essayé “Yeah man” en particulier ?
“Yeah Man” trottait dans ma tête depuis un bon moment et c’est vrai que j’avais quand même bien envie de refaire des grands voies depuis la naissance de ma fille. J’ai pas mal échangé avec Cédric Lachat qui l’avait faite il y a trois ans, et il était vraiment confiant du fait que j’avais le niveau. Depuis que je suis devenue mère, je grimpe toujours pas mal, mais j’ai moins envie de faire des projets où je suis loin de ma famille. J’avais donc envie de trouver un truc où ma famille pouvait être présente car c’est la plus belle chose quand après une longue journée en paroi il y a tes chers et tendres qui t’attendent au camp. Aussi, ce n’est pas un massif qui est très dangereux niveau engagement (la voie est super bien équipée d’ailleurs), ni pour les chutes de pierre etc, et j’avais vraiment envie d’amener Pauline dans une voie où elle pouvait s’exprimer pleinement et apprendre un tas de choses.
Parle-nous de la voie. Des difficultés. Cette longueur en crux de 45 mètres située tout en haut.
On était les premières dans la voie cette année je pense, donc il a fallu déchiffrer, nettoyer un peu la poussière de l’hiver et installer les cordes statiques pour pouvoir travailler la voie correctement. C’était un peu de boulot de ne faire tout ça qu’avec Pauline, mais on a adoré être là-haut que toutes les deux et de passer notre temps à déchiffrer cette voie bien technique. On a mis 5 jours de travail dans la voie, le dernier j’ai pu enchainer la longueur clé en 8b+, mais je n’avais pas encore réussi à enchainer L5 et 6, un 8a+ super fino et technique et un 8a ultra ultra bloc. Mais je me suis dit qu’il fallait commencer un jour à taper des runs depuis le bas.
Comment s’est déroulé le travail. Le push ?
Pauline était bien chaude pour essayer un enchainement d’équipe en libre (enchainer toutes les longueurs chacune, en tête les longueurs clefs et en réversible les premières longueurs qui sont quand même carrément plus facile à grimper (7a+,7b+, 7b+, 7c)
On est monté le 17 juin avec la dernière remontée du télésiège avec nos affaires de bivouac pour pouvoir commencer tôt le lendemain. La voie passe au soleil vers 15h, donc on avait envie de partir tôt.
On y est vraiment allé sans aucune pression, ni attentes, on avait une seule envie, c’était de grimper. Je suis partie en tête à 7h du mat, tout passe mais une petite chute pour moi au 7c, donc j’ai dû refaire la longueur. A part ça on enchaine tout, c’était assez fou! Je me suis rendue compte à quelle point Pauline était douée (pas que pour l’escalade, vraiment pour tous les à-cotés en grande voie aussi) et je me suis vraiment sentie chanceuse. Je me suis dit que j’avais envie que ce projet dure le plus longtemps possible, tellement on passait des bons moments en paroi et avec ma famille au camion et autour.
Et quand je ressens cette chose, c’est souvent la clé du succès. Donc on s’est retrouvé toutes les deux au pied du 8b+. Vu comme je l’avais déjà enchainé une fois il y a deux jours, je savais que je pouvais refaire cette magnifique longueur de 45m qui se trouve à 300m du sol. C’est un bijou à grimper; un bon mélange entre rési et conti avec une dalle à la sortie où ça se joue dans la tête. Au repos juste avant d’attaquer cette fin j’ai collé ma joue contre le rocher et je me suis dit: “Je vis ma meilleure vie”. 2 minutes après j’ai clippé la chaine de cette longueur clé! J’ai jubilé et tous les grimpeurs plus bas dans les secteurs de couennes m’ont applaudi et étaient contents pour moi. C’était au tour de Popo mais elle avait du mal à avancer, le manque de saucisson était fatal pour son niveau d’énergie ! Elle m’a quand même suivi jusqu’au sommet et on a profité de cette belle vue juste avant l’orage. Arrivées en bas de la voie, j’ai aperçu ma fille qui m’attendait. Jérémy était venue me faire la surprise. Quel beau moment!
Quel serait le prochain objectif en grande-voie pour toi ? Est-ce que le fait d’être mère change ton approche ou tes ambitions ?
Je n’ai pas encore défini mon prochain objectif. Honnêtement je me suis surprise un peu d’avoir fait si rapidement. J’avais peur d’oublier; mais une fois engagée dans le projet, il y a la véritable machine Suisse qui a redémarré et c’était une sensation très agréable. Maintenant quand je me projette dans des projets, j’ai envie que ça fasse sens pour la vie de famille. À vrai dire, Jérémy a pris le rôle de la nounou pendant tout le temps du projet et il ne le fera pas tout le temps. C’est un échange, un équilibre qui est à trouver en permanence mais je trouve qu’on s’en sort pas mal ! Physiquement je me suis vraiment surprise aussi. Je pense quand le cœur est là, on peut faire des choses magnifiques et aller au-delà de ce qu’on croit !
Photos : Jérémy Bernard
Les difficultés de “Yeah Man” dans la vidéo ci-dessous avec Cédric Lachat
Less than a year after the birth of her child, Nina Caprez is back in business in the multipitch game with a repeat of “Yeah Man” in the Gastlosen, Switzerland, by teaming up with Pauline, her au pair! This multipitch route is 300 meters long and offers 9 sustained pitches with 8a/+ hard slab pitches to be negotiated before a crux on the penultimate pitch (45m, 8b+). Bolted by François Studemann and Guy Scherrer in 1998, the route is known to be the hardest on the North Face of Grand Pfadflue. On August 1, 2010 Giovanni Quirici made the first free ascent of the entire route. Victim of a tragic death in the summer of 2012, on “Le chant du cygne”, North face of the Eiger, Cédric Lachat paid homage to Giovanni by getting the second ascent in 2019. Siebe Vanhee and Lukas Sager imitated him. Nina therefore signs the 5th ascent and the first female ascent of the route in one push, Josune Bereizartu having freed all the pitches separately in 2004, but without managing the integral free push from the ground due to adverse weather conditions. “Yeah Man” is therefore a new alpine route to be added to the resumé of Nina, who had already bagged other musts of the style such as “Silbergeier” and “Unendliche Geschichte” in the Rätikon.
Almost a year after the birth of your child, you are back at your best in multipitch climbing, your favorite terrain. How is the feeling?
To be honest, it took me a bit of courage to go to the Gastlosen. I had done my first multipitch for a year in May with Lynn Hill, and I had a lot of troubles. So I asked myself if it was a good idea to take on this project.
But in the end, my partner Jérémy pushed me a bit and I must say that it went extremely well. As soon as we arrived in Jaun I felt that I was in the right place. I loved taking the “lead” for this project, accompanied by my au pair Pauline, and supported by Lia and Jérémy on the ground in the van.
Why did you choose “Yeah man” in particular?
“Yeah Man” had been in my head for a while and it’s true that I wanted to climb a multipitch again after the birth of my daughter. I spoke quite a bit with Cédric Lachat who had done it three years ago and he was really confident that I would have the level to send it. Since I became a mother, I have been climbing a lot, but I have less desire to do projects where I am far from my family. So I wanted to find something where my family could be present because it’s the most beautiful thing when after a long day of climbing there are your loved ones waiting for you at the camp. Also, it’s not a massif that is very dangerous in terms of commitment (the route is well bolted), nor for falling rocks and so on, and I really wanted to team up with Pauline on a route where she could express herself and learn a lot of things.
Tell us more about the route. Difficulties. This 45-meter crux pitch located at the very top…
We were the first to try the route this year I think, so we had to clean up the winter dirt a bit and set up static ropes to be able to work the route properly. It was a lot do to all this stuff with Pauline, but we loved being up there the two of us, and spending our time discovering this very technical route. We put 5 days of work on the route, the last one I was able to send the key pitch in 8b+, but I hadn’t yet managed to send L5 and 6, a super technical 8a+ and an ultra bouldery 8a . But I told myself that one day I had to start putting in tries from the ground…
How did the work go? The push?
Pauline was very excited to go for the push (sending all the pitches, each, leading the key pitches and reversing the first pitches which are easier to climb (7a+, 7b+, 7b+, 7c).
We went up on June 17 with the last lift on the chairlift, with our bivouac stuff in order to be able to start early the next day. The route gets the sun from around 3 p.m., so we wanted to get going early.
We really went there without any pressure or expectations, we only wanted to climb. I started to climb at 7am, everything was fine but a small fall for me in the 7c, so I had to redo the pitch. Apart from that, we sent everything, it was pretty crazy! I realised how gifted Pauline was (not just for climbing, really for everything on multi-pitch routes too) and I really felt lucky. I said to myself that I wanted this project to last as long as possible, so we could spend more good times on the wall and with my family in the van and around.
And when I’m feeling like that, it’s often the key to success. So we both ended up at the foot of the 8b+. Considering how I had already sent it once two days previous, I knew that I could redo this magnificent pitch of 45m which is 300m from the ground. It is a gem to climb; a good mix between power endurance and stamina with a slab at the exit that is all about mind control. At the rest, just before climbing this end section, I stuck my cheek to the rock and said to myself: “I’m living my best life”. 2 minutes later I clipped the chain of this key pitch! I was jubilant and all the climbers lower in the climbing sectors applauded and were happy for me. It was Popo’s turn but she was struggling to move forward, the lack of saucisson was fatal for her energy level! She still followed me to the top and we took advantage of the beautiful view just before the storm. At the end of the descent, I saw my daughter waiting for me. Jeremy had come to surprise me. What a beautiful moment!
What would be the next major goal for you? Does being a mother change your approach or your ambitions?
I haven’t set my next goal yet. Honestly I was a little surprised to have done “Yeah Man” so quickly. I was afraid to forget; but once into the project, the real Swiss machine restarted and it was a very pleasant feeling. Now when I project, I want it to make sense for our family life. To tell you the truth, Jérémy took the role of the nanny during this project and he will not do it all the time. It’s a swap, a balance that has to be constantly found, but I think we’re doing quite well! Physically I was really surprised too. I think when the heart is there, you can do wonderful things and go beyond what you believe!
Pics: Jérémy Bernard