RMB, ou Rocky Mountain Books, est une maison d’édition canadienne résolument tournée vers l’outdoor, montagnard à la base mais aujourd’hui sous toutes ses facettes, y compris biographiques. Nord-américaine et de langue anglaise, ses auteurs et sujets d’étude ne sont pas forcément familiers aux européens, mais un irréductible individu résiste: David Smart vient de sortir deux biographies de figures mythiques de l’escalade du vieux continent, Emilio Comici et Paul Preuss.
Paul Preuss, Lord of the Abyss retrace de façon chronologique la vie d’un jeune homme d’exception, mort en 1913 (à l’âge de 27 ans) lors du solo d’une ligne vierge en face nord du Mandlkogel, en Autriche. Mais ce n’est pas cette triste fin qui l’a rendu célèbre, plutôt son éthique de l’escalade, laquelle donna lieu à la fameuse “dispute des pitons” (ou “mauerhakenstreit”). Preuss décomposa sa vision en 6 règles d’une exigence certaine, dont on retiendra surtout que la corde ni les pitons ne doivent être utilisés, ou que le rappel se voit proscrit: il s’agit donc de désescalader.
À ce titre, son nom apparait souvent dans les discussions d’aujourd’hui autour du solo intégral, comme s’il en avait rédigé la bible. C’est dans ce contexte que la biographie de Smart prend toute sa valeur, montrant que contrairement à l’idée reçue Preuss ne rejetait pas, même pour lui-même, l’escalade encordée, et que s’il positionna d’abord son éthique comme ayant valeur universelle, il la tempéra progressivement pour en faire une éthique personnelle. Par ailleurs, ses principes adoubaient l’utilisation de la corde, des pitons et même du rappel en situation de danger immédiat.
On lui doit des premières en solo sauce maison ébouriffantes, comme celle de l’arête sud-est de l’Aiguille Blanche, la face ouest du Totenkirchl, la face est du Campanile Basso ou encore la face sud de la Dent du Géant, un des itinéraires les plus difficiles de l’époque, avec désescalade en pleine tempête de neige en sus.
Smart fait vivre cet homme et son époque avec un talent serein. On apprend que Preuss était aussi pionnier du ski de randonnée, adoptant ce nouveau sport pour faire un nombre de premières courses d’envergure. Premier “grimpeur professionnel”, il gagnait sa vie en donnant des conférences sur tous les sujets liés à la montagne: ski, grimpe en solo, encordée, si les moniteurs de ski peuvent prendre part aux premières compétition de ski alpin, et ainsi de suite.
Par la force des choses, l’éthique de Preuss l’opposa aux grands noms de l’époque, tels que Piaz ou Dülfer, qui eux avaient recours à l’encordement et à quelques pitons pour leurs ascensions (Dülfer fit même un repérage de voie en rappel, horreur des horreurs), et les échanges furent parfois vigoureux. Cela dit Preuss s’estimait moins bon grimpeur que les deux hommes, quand de leur côté Piaz et Dülfer l’estimaient pour la pureté de sa grimpe et son honnêteté, ainsi que ses réalisations de tout premier ordre. C’est d’ailleurs Piaz, devenu son ami, qui le surnomma “Lord of the abyss”.
Juif converti au catholicisme, Paul Preuss n’échappa pas à la réécriture de l’histoire dans une société tombée en proie au nazisme. Il est d’ailleurs fort plausible qu’il aurait disparu de nos consciences sans un colis. En 1979, après l’exploit de Reinhold Messner sur le Nanga Parbat et ses prises de position arc-boutées contre les pitons à expansion, Emmy Eisenberg, alors nonagénaire, reconnaissant en lui un digne héritier de celui qui fut son “grand amour”, décida d’envoyer au plus autrichien des Italiens son marteau et quelques-uns de ses pitons.
Elle vit juste : depuis sa découverte de Preuss, Messner a écrit deux livres à son sujet, le sortant ainsi de l’ombre, et ledit marteau tient depuis une place d’honneur dans un des musées de l’Italien, au sommet du Kronplatz.
Article écrit par Denis Lejeune
Photos de courtoisie de Rocky Mountain Books
RMB, or Rocky Mountain Books, is a Canadian publishing company resolutely turned towards the outdoors, with a focus on mountaineering at the beginning but today in all its facets, including biographies. North American and working solely in English, its authors and topics are not necessarily familiar to Europeans, but one man is squarely bucking the trend: David Smart has just released the biographies of two legendary climbers from the Old continent, Emilio Comici and Paul Preuss.
Paul Preuss, Lord of the Abyss gives a chronological account of the life of an exceptional young man, who died in 1913 (age 27) while soloing a virgin line on the North face of the Mandlkogel, Austria. But it is not this sad demise that made him famous, rather his climbing ethics, which gave birth to the famous “dispute of the pitons” (or “mauerhakenstreit”). Preuss broke down his vision into 6 very demanding rules, amongst which that neither rope nor pitons should be used, or that abseiling is prohibited (leaving down-climbing as the only option).
Preuss’ name often appears in today’s discussions about free soloing, as if he had written its bible. It is in this context that Smart’s biography takes all its meaning, showing that contrary to popular belief Preuss did not reject, even for himself, roped climbing, and that if he first claimed his ethics as universal, he gradually softened his stance to make it a personal ethics. Besides, his principles did allow the use of rope, pitons and even rappelling in situations of immediate danger.
Following his views, Preuss claimed an impressive number of solo first ascents, like the South-Eastern ridge of Aiguille Blanche, the West face of the Totenkirchl, the East face of the Campanile Basso as well as the South face of Dent du Géant, one of the hardest routes at the time, even down-climbing it all in the thrall of a full-blown snowstorm as an added bonus.
Smart brings the man and his time to life with calm and assured talent. We learn that Preuss was also a pioneer in ski touring, adopting this new sport to make a number of firsts of major itineraries. The first “professional climber”, he earned his keep giving lectures on all subjects mountain-related: skiing, solo climbing, roped climbing, if ski instructors could take part in the nascent downhill skiing competition scene and so on.
Logically, Preuss’ ethics meant that his views often contradicted those of great climbers of the period such as Piaz or Dülfer, who used rope and a few pitons for their ascents (Dülfer even abseiled to recce a route, can you imagine!) and exchanges sometimes got heated. However, Preuss considered himself less proficient a climber than these two, while Piaz and Dülfer admired the purity of his climbing and his honesty, as well as his first-rate achievements. It was Piaz, for that matter, turned friend, who nicknamed Preuss the “Lord of the abyss”.
A Jew converted to Catholicism, the name and influence of Paul Preuss didn’t escape the rewriting of history that took place when Austrian society took its turn towards Nazism. In fact, it is very likely it would have disappeared from our consciousness altogether without a parcel. In 1979, after Reinhold Messner’s feat on the Nanga Parbat and his vocal opinion against expansion bolts, Emmy Eisenberg, then in her nineties, recognising in Messner a worthy heir to the one whom she described as her “great love”, decided to send the Italian Preuss’s hammer and some of his pitons.
And she got it spot on: since his discovery of Preuss, Messner has written two books about him, bringing his name back into the spotlight, and Preuss’s hammer now holds a place of honor in one of the Italian’s museums, at the top of the Kronplatz.
Article written by Denis Lejeune
Pictures de courtesy of Rocky Mountain Books