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Interview Lucien Martinez
Falaise / Sportclimbing France Interviews Sud Ouest / South West

Interview: Lucien Martinez, irréductible acharné – Interview: Lucien Martinez, inveterate and tenacious

  • 27/01/2022

(English below)

Tous ceux qui l’ont rencontré et côtoyé confirmeront, Lucien Martinez n’est pas un grimpeur qui laisse indifférent. Personnage sympathique et ouvert, assumant parfois des prises de position tranchées, ayant une approche très personnelle et originale de l’activité, à l’instar de ses potes Charles Albert ou Nico Pelorson, Lucien fait figure d’OVNI dans le paysage de la grimpe hexagonale. Longue interview avec l’intéressé.

– Tu viens du Sud-Ouest, précisément de Montauban, peux-tu te présenter et raconter tes débuts en escalade ?

Avant Montauban, j’ai habité à Toulouse jusqu’à 8 ans et c’est là où j’ai commencé la grimpe. Ma mère nous avait inscrits, mon frère et moi, à un cours hebdomadaire avec Mathieu Gallot Lavallée. Il y avait des gens à la salle qui m’avaient dit que Mathieu était super fort et qu’il avait fait une voie en falaise incroyablement dure, que seuls trois grimpeurs avaient réussie, et que l’un d’entre eux avait dit que cette voie était 8c+. Sur le moment, cette histoire m’avait fasciné, et j’ai compris peut-être 10 ans plus tard qu’il s’agissait en fait de Baston à la Maison à Saint Géry (falaise lotoise) et que le grimpeur qui avait parlé de 8c+ n’était autre que Dave Graham.
Pour autant, je n’étais pas spécialement doué ni très motivé à cette époque. Ma passion, c’était le rugby. J’en ai fait pendant trois ans et j’étais super fort, bien plus qu’à l’escalade. Ceux qui me connaissaient à l’époque pourront en témoigner même si je reconnais que ça peut paraître dur à croire vu mon physique squelettique. En arrivant à Montauban, il n’y avait plus de place au club de rugby, et la salle de grimpe, en parallèle, était juste à côté de chez moi. Il y avait une formule accès libre qui nous permettait d’y aller tout seul le soir après l’école ce qui fait que je me suis mis à y aller plus ou moins tous les soirs. Je ne pensais plus qu’à ça. Je me morfondais toute la journée en attendant de retourner essayer les blocs qui m’avaient résisté la veille. Je ne cherchais qu’à m’amuser, pas du tout à m’entraîner, mais la progression venait d’elle-même et j’ai franchement muté en l’espace de 2 ou 3 ans. À ce moment, Hervé Peyre, notre moniteur, s’est mis à amener régulièrement les jeunes du club en falaise à Saint Antonin. Il nous montait des cordes, nous aidait à choisir des voies, nous donnait des méthodes aux petits oignons, nous racontais des histoires sur la réputation des lignes et les grimpeurs du coin… Et à force, peut-être aussi aidé par le fait que je n’arrivais jamais à battre mon pote François Kaiser (que je salue !!) en compétition, j’y ai pris goût et je me suis passionné de caillou. À 13 ou 14 ans, j’étais à peu près autonome. J’avais amassé une pile de numéros de téléphone de grimpeurs que je connaissais, et le samedi soir, je les faisais tous un par un jusqu’à trouver quelqu’un qui voulait bien m’amener en falaise.

– Un diplôme d’agronomie en poche, tu as tout plaqué pour l’escalade, pourquoi ?

En terminale, j’étais plus passionné de grimpe que jamais, plus ou moins obsédé. Mais après le Bac je suis rentré dans une prépa et je ne grimpais plus qu’une mini séance le samedi aprem en falaise. Ça a été terrible de frustration. Je voyais les gens faire des perf, progresser, se régaler et j’étais super jaloux. En école d’ingé, je me suis mis à grimper beaucoup plus et à retourner en falaise les deux jours du week-end, mais c’était pas si facile que ça de valider les semestres alors j’ai quand même dû faire des compromis sur l’escalade.
Une fois le diplôme en poche, en fait, je n’avais pas du tout l’intention de tout plaquer, je voulais juste faire une année sabbatique pour me concentrer à 100% sur deux voies qui me faisaient rêver, “Fight or Flight” et “3 Degrees of Separation”, pour essayer de les enchaîner avant de chercher un boulot d’ingénieur potentiellement très prenant. Le problème, c’est que malgré toute ma motivation, mon investissement et mes essais, je n’en ai réussi aucune des deux. J’ai pris conscience de deux choses. Premièrement, que pour réussir mes rêves il faudrait progresser et pas qu’un peu. Deuxièmement, que l’escalade était mon monde, que je ne pourrais jamais m’en lasser et qu’il serait bête de ne pas bosser là-dedans compte tenu de cela. J’ai beaucoup réfléchi à ce qu’il fallait que je fasse et finalement j’ai décidé de tenter le coup dans le journalisme, avec en tête la possibilité de revenir en arrière si ça ne fonctionnait pas. Finalement, je me sens à ma place, je fais vraiment quelque chose qui me passionne et je pense que je fais mieux dans mon travail à Grimper que ce que j’aurais pu faire comme ingé.

Interview Lucien Martinez
Dans la 2e répétition de “Three Degrees of Separation” (coll. Sam Bié)

– Tu t’es intéressé très tôt à la haute-difficulté en escalade ? Pourquoi ce sujet t’anime particulièrement ?

Tu me demandes de faire ma propre psychanalyse ma parole ! La haute difficulté sur le caillou a, je trouve, quelque chose de fascinant. Il y a des mystères, des ragots, des rivalités, des combats épiques de plusieurs années, des grimpeurs qui réussissent à faire des exploits incroyables en étant plus malins que les autres, des premières ascensions qui s’apparentent à des quêtes de Graal avec plusieurs protagonistes… Le tout, et c’est ça qui est incroyable, sans aucun cadre officiel !

– Tu t’intéresses beaucoup aux cotations, et tu estimes que le slash ne devrait pas exister, pourquoi ?

Je sais pas si je vais réussir à expliquer mais je vais essayer ! Les souvenirs de mes cours de prépas me permettent de dire que les cotations sont une discrétisation d’un ensemble continu. C’est-à-dire qu’une cotation n’est pas du tout une valeur précise de la difficulté d’une voie, mais une plage de difficulté. Si on reprend l’image d’une « échelle » de cotations, il faut donc bien comprendre qu’une cotation, le 7a par exemple, n’est pas un barreau mais l’espace entre deux barreaux, barreaux qui représentent les limites entre le 7a et le 7a+ en haut et le 7a et le 6c+ en bas.
Si on dit qu’une voie est un 8c+/9a, ça ne peut pas vouloir dire que la difficulté se situe pile au niveau du barreau séparant le 8c+ et le 9a car c’est mathématiquement impossible (la probabilité que la difficulté d’une voie tombe pile poil sur un barreau est nulle, cf mes cours de maths). Pour dire que la cotation d’une voie est 8c+/9a, il faut donc considérer qu’on a ajouté une nouvelle plage entre le 8c+ et le 9a dans l’échelle de cotations. Admettre les cotations slashées, c’est accepter de redisposer tous les barreaux de l’échelle de cotation (et d’en rajouter) pour dégager de la place et doubler le nombre de plages de cotations. Rien ne l’interdit, mais cela voudrait dire qu’il faudrait reconsidérer les cotations de toutes les voies. Les 8a solides deviendraient des 8a/+, les petits 8a+ idem et ainsi de suite pour toutes les lignes du monde.
En plus de ce problème, je trouve que le niveau de précision de l’actuelle échelle de cotation n’est pas si mal et qu’il n’est déjà pas facile de trouver des consensus. Il ne me paraît donc pas spécialement pertinent de tout chambouler en doublant le nombre de cotations sur l’échelle.
Mais, car il y a un mais, je ne suis pas spécialement contre les slashs dans leurs deux utilisations d’origine. À la base, ils ne servaient pas à rajouter une cotation dans l’échelle, mais à manifester une hésitation entre deux cotations, en laissant aux répétiteurs suivants la charge d’ajuster la difficulté. Il me semble que cet usage du slash est le bon, et c’est pour cela que lorsque je répète une voie dure slashée, je tente de donner mon avis avec le plus d’honnêteté possible entre les deux cotations concernées.
L’autre usage historique du slash, qui est intéressant aussi (je sais par exemple que c’était le cas pour le topo de Saint Antonin), concernait les voies morpho, et donnait une indication sur le fait que la voie n’a pas la même difficulté pour tout le monde.

– En tant que grimpeur, tu t’obstines particulièrement dans des projets extrêmes après-travail comme “Fight or Flight”. Pourquoi tout le temps repousser tes limites ?

Alalala, cette question met le doigt sur un énorme problème. Pour moi, ça fonctionne comme une quête avec des péripéties et une fin incertaine. Une voie dure qui me fait rêver, c’est un Graal que j’essaie d’atteindre. Je ne sais pas si je vais y arriver, mais j’en rêve, parfois même au sens propre. Et j’ai envie de donner le maximum pour réussir.
C’est bien beau sur le papier, mais à partir du moment où on assume le fait de vraiment vouloir faire des trucs très durs, on s’enferme un peu là-dedans…
On ne peut plus partir grimper n’importe où n’importe quand parce qu’on est asservi à nos objectifs et nos entraînements. On ne voit presque plus l’escalade que sous le prisme de notre quête, au point qu’on en oublie l’amusement, le même qui m’avait fait aimer l’escalade à mes débuts. Je n’aime pas être monomaniaque, pas du tout. Il y a plein d’autres sports que j’adore et que je ne pratique malheureusement plus, sans parler de sollicitations de copains que je décline… Mais on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Vouloir faire Fight or Flight tout en restant ouvert, disponible, en pratiquant plein d’autres sports et en prenant le temps de faire de beaux magazines Grimper, je sais très bien que ce n’est pas dans mes cordes. Donc pour le moment, je reste à fond sur la perf, mais je suis fortement tiraillé parce que je n’aime pas trop cet état de rigidité dans lequel elle m’enferme.

Un bon flight dans “Fight or flight” (coll. Pierre Trolliet)

– Depuis quelques années, au lieu d’aller répéter des voies dures emblématiques, tu t’es plutôt tourné vers des voies du terroir, avec des ouvertures ou des répétitions de voies peu classiques (“Beyond”, “3 degrees”, “FFF”, “Hugh”,…). C’est voulu ?

Ça aussi, c’est quelque chose de très important. Ce n’est pas une difficulté, qui me fait rêver, mais un contexte global dont la difficulté fait partie. C’est vraiment très important pour moi.
Si je m’investis dans une voie, il faut qu’elle ait un sens particulier, par son histoire, sa localisation où je ne sais quoi d’autre… Pour FFF, la voie n’est pas spécialement belle mais elle se situe à Supermanjoc, ma falaise de cœur, et je suis passé au pied pendant des années en levant la tête et en me disant que ça avait l’air impossible. Pour Hugh, c’était le mystère, j’étais extrêmement curieux d’aller y mettre les doigts et de voir en vrai comment c’était. Pour Beyond, c’était juste que la voie était très sympa à grimper et qu’elle me convenait bien. Pour “Three Degrees”, c’était un rêve depuis que j’avais vu la vidéo de Sharma, une des meilleures qui existent. Arriver à Céüse plus de 10 ans après avoir vu la vidéo pour la première fois, apercevoir les 3 colos jaunes du départ en montant le dernier raidillon de la marche d’approche, toucher les prises pour la première fois, essayer les mouvements en me demandant s’ils sont conformes à ce que j’imaginais, puis mettre des runs et encore des runs pour finalement réussir… Tout ça était une expérience incroyable et infiniment mieux que s’il y avait la même voie sans le contexte, sans la vidéo de Sharma et sans le dizaines de visionnages à 12 ans les yeux écarquillés devant l’ordi de mon père.
Pour résumer, je n’ai aucune volonté de ne pas répéter les voies emblématiques, au contraire, j’aime bien ça, mais d’autres éléments de contexte comme le mystère ou le terroir du Sud-Ouest ont aussi de l’importance dans les voies sur lesquelles je choisis de m’acharner, le plus important étant que cela ait du sens pour moi.

– Quelle est ta vision de l’escalade en France à l’horizon 2022 ?

J’imagine que cette question pourrait être abordée sous plein d’angles différents (salle, gestion des falaises, grimpeurs etc.) mais le seul pour lequel je crois avoir un truc intéressant à dire concerne le haut niveau en falaise : j’ai l’impression que la France est en train de redevenir le centre du monde, comme elle l’était fin 90 début 2000 avant que Sharma ne le déplace en allant s’installer en Catalogne. On a toutes les voies de Seb Bouin (à la Ramirole mais pas seulement) qui sont majeurissimes et pour lesquelles les Ondra, Megos, Schubert et Ghisolfi ne pourront pas s’échapper éternellement, et en plus on a Céuse et Saint Léger avec plein de nouvelles voies extrêmes et des projets majeurs un peu partout. On observe une nouvelle dynamique pour la France depuis 2-3 ans et je fais le pari que cette tendance va s’accentuer et que la décennie des années 2020 sera celle de la France comme celle des années 2010 (et fin 2000) a été celle de la Catalogne.

– Quel regard portes-tu sur la presse escalade en général, et particulièrement sur la presse web ?

Paradoxalement, je trouve que la presse web va assez mal parce qu’elle est vampirisée par Instagram. Avant, à l’époque où tu faisais les news Kairn, on attendait avidement les news des croix parce que c’était vraiment là où on apprenait ce qui se passait. Maintenant, c’est Instagram qui a volé la vedette et presque toutes les informations clef de notre petit monde y arrivent en premier. Et nous, pour les news web, on se retrouve obligés de reprendre en le reformulant comme on peut les « communiqués officiels » que font les athlètes sur Insta, ou alors de leur demander des précisions intéressantes, mais dans tous les cas c’est sur Instagram que l’info arrive en premier. L’utilité de la presse web devient alors d’être une sorte d’entonnoir des réseaux sociaux qui filtre les informations et performances d’importance pour le lectorat. Ça reste intéressant parce tout le monde ne suit pas à fond ce qui se passe sur Instagram, et donc il reste pas mal de gens qui apprennent quand même plein de choses sur la presse web, mais c’est plus tout à fait pareil.

– Les réseaux sociaux ont révolutionné et accéléré la communication des informations. Est-ce une bonne ou mauvaise chose ? Qu’en retiens-tu ? Comment les utilises-tu ?

Comme le laisse deviner ma réponse précédente, je suis d’accord avec le constat ! J’aurais tendance à dire que ce n’est ni une bonne ni une mauvaise chose, mais que c’est comme ça et qu’il faut faire avec. Je vais quand même me permettre une petite critique. Le système des réseaux sociaux est quand même fortement basé sur l’autopromotion. On a un compte et on raconte nous même nos exploits avec plus ou moins finesse et de subtilité. Je trouve qu’un système qui oblige les gens à chanter leur propre légende pour exister a quand même un problème. En tout cas moi ça me dérange, même s’il y a quelques comptes que je suis avec beaucoup de plaisir et que je serais triste de voir disparaître !
Pour ma part, je ne suis sur les réseaux sociaux que pour me tenir informé et voir ce que mettent les autres, je ne poste jamais rien. Mais j’ai bien conscience que si je n’étais pas salarié de Grimper et que je devais faire mon trou en journaliste indépendant, ou bien si j’essayais d’être grimpeur pro, je ne pourrais probablement pas faire l’économie de mon autopromotion sur les réseaux.

En plein run dans “Moksha” au Pic St-Loup (coll. Pierre Trolliet)

– On entend souvent que la presse papier va mal. Depuis que tu as démarré, quelles sont tes satisfactions, les écueils que tu as rencontrés, ou rencontres que tu as faites en tant que journaliste ?

Là, par contre, je ne suis pas d’accord avec le constat ! En ce qui concerne l’escalade, la presse papier a me semble-t-il tout ce qu’il faut pour aller plutôt bien. Je pense en particulier aux photos. La photo de grimpe, c’est quelque chose de riche et qui esthétiquement fonctionne très très bien. Il y a le grimpeur, son visage, sa position, ses préhensions, la sculpture et les couleurs du rocher, le paysage… En plus il y a pas mal de photographes qui sont passionnés et super bons. Ce serait trop dommage que toutes les belles photos de grimpe n’existent plus ou presque plus que sur les écrans. Au niveau des textes aussi, je crois que sur le papier on peut se démarquer du web en faisant, par exemple, des dossiers un peu complets comme ceux des Grimper Céüse et Fontainebleau, mais aussi apportant des analyses de fond assez complètes sur des thématiques historiques ou de progression.
Évidemment, en ce qui concerne les actualités brûlantes, ça arrive un mois après voire plus dans le magazine papier, donc la bataille est perdue d’avance, mais je crois qu’il reste et restera une grosse niche pour le papier, parce qu’en jouant sur le ressort de la qualité, le support papier apporte des choses que le web n’offre pas. Mais ça, c’est à nous de le prouver en produisant de beaux (et intéressants !) magazines.
En ce qui concerne les satisfactions et écueils, ça va bientôt faire 3 ans que je suis rédacteur de Grimper donc il y a forcément eu des choses qui ont plus ou moins bien marché. Il y a un truc en particulier dont les gens ne se rendent pas forcément compte, c’est la multiplicité des enjeux lorsqu’on sort un magazine. On veut que le lecteur soit content et faire rêver les gens, on veut que le numéro se vende bien, évidemment, mais il faut aussi éviter à tout prix de semer la zizanie sur les territoires dont on parle en oubliant par exemple d’impliquer tel équipeur ou tel grimpeur qui ont donné de leur passion et de leur temps sur les falaises concernées, ou bien en ne prenant pas de pincettes pour faire la promotion de secteurs menacés d’interdiction, etc. C’est presque impossible de cocher toutes les cases, mais c’est très satisfaisant quand, pour certains magazines, on arrive à s’en rapprocher. En revanche c’est décevant quand on n’y arrive pas.
Et sinon, j’aimerais bien qu’il y ait un peu plus d’humour et de dérision dans les magazines mais je n’ai toujours pas trouvé de formule adaptée… Gilles, si tu lis cet interview et que tu veux reprendre les fausses couvertures, la porte est ouverte !

– On sent dans tes écrits un certain intérêt pour la culture littéraire/philosophique, tu peux nous en dire plus ?

Oui, je peux en dire plus. En fait, c’est pas vraiment un intérêt particulier pour la culture littéraire ou philosophique mais beaucoup plus général que ça. Je suis tellement conditionné à penser grimpe que mon cerveau fait très souvent des parallèles entre l’escalade et des choses qui n’ont rien à voir. Je trouve ça amusant et j’aime bien partager ces parallèles dans des articles. Si c’est bien fait – j’avoue que ça ne marche pas à tous les coups – ça peut apporter de l’intérêt et de la profondeur aux textes ou bien servir d’accroche. Mais ça ne concerne pas du tout seulement la littérature ou la philosophie (disciplines dans lesquelles je précise que je n’ai aucune prétention), ça peut être des films, d’autres sports, d’autres disciplines… J’ai même fait une analogie entre la recherche de la bonne cotation et les diagrammes de phases qu’on étudiait en Chimie. J’espère qu’un de ces 4 j’aurais l’occasion de l’expliquer dans un article !

– Que répondrais-tu aux gens qui jugent que tu possèdes un côté trop élitiste ?

Que j’en assume une partie. Par autodérision, je dis parfois que je n’arrive pas à trouver antipathiques des gens qui ont de la force dans les doigts ! L’excellence, quel que soit le domaine, est je trouve très intéressante, voire fascinante. Je ne serais pas capable de donner la source, mais je me souviens d’Adam Ondra disant que plus on monte en niveau, plus la pratique de l’escalade est intéressante parce qu’elle se complexifie. Je suis assez d’accord avec ça.
En ce qui concerne mes amitiés, par contre, je nie en bloc. Certes, vu que je passe tout mon temps à grimper, je suis forcément amené à fréquenter des gens passionnés et donc un peu forts, mais ce serait faire insulte à mes copains que de les apprécier pour leur niveau en grimpe. Je suis amis avec des gens parce que j’aime bien discuter avec eux, que je les trouve sympathiques, qu’ils me font marrer ou je ne sais quoi d’autre.
Autant l’excellence est assez fascinante, autant, quand on se met à bien connaître les gens, elle perd énormément en importance dans la relation jusqu’à finir par s’effacer presque complètement.

– Quelle est la plus grande démonstration d’escalade à laquelle tu aies assisté ?

De temps en temps, je vois des gens faire des trucs où je ne comprends même pas comment c’est possible. Allez, trois-quatre exemples pour le plaisir. L’échauffement d’Adam Ondra à Entraygues avant qu’il ne rate le flash dans “la Moustache qui Fâche”. Il faisait des 8a/b à vue (ou peut-être qu’il les avait déjà faits 10 ans avant) en randonnant tellement que je me suis dit sur le moment que même dans un 6c je me serais plus mis au taquet. C’était incroyable.
Autre exemple, la première fois ou j’ai mis les pieds à Oliana, Ramon a fait le 8c+ Joe Blau en randonnant complètement et en se reposant partout même dans les crux. Sur le moment il grimpait avec tellement peu de rythme qu’on a cru qu’il l’avait faite à vue, mais en fait on a appris qu’il avait mis une montée la semaine d’avant. Incroyable.
À Bleau, j’ai vu Charles à de multiples reprises faire des choses abracadabrantesques que j’aurais presque jugées impossibles si je ne les avais pas vues. Du genre des ouvertures flash ou en très peu d’essais de 8A sur 1 mouv dans lesquels personne d’autre ne bouge, ou bien des 7B dalle en basket en atomisant des grattons avec les ongles…
Un dernier pour la route. Dans le dévers à 65° de Blocage, le petit pan de Bleau, Nico Pelorson avait ouvert un bloc (prises rouges !) avec un mouvement de pure tenue et gainage qui me semblait ne pas marcher. Ce mouvement, Nico l’a réussi et même avec les 2 mouvs de mise en place. C’était vers le moment où il a fait Big Island assis et il était sacrément en forme. Les grimpeurs qui passaient à la salle et voyaient ce bloc pensaient même que c’était une blague tellement il avait l’air impossible.

“L”insoutenable” à Bleau (coll. Stephan Denys)

– Toutes choses étant égales par ailleurs, tu dois parier sur la personne qui décrochera la première du “Bombé bleu”: sur qui est ton argent ? Et la première répétition de “Silence”?

Les meilleurs profils pour faire cette voie sont à mon avis Alex Megos et Jakob Schubert parce qu’ils ont probablement le niveau de force de faire le premier pas de bloc, mais aussi suffisamment de consistance pour grimper le 9a qui suit avec de la sécurité. Adam Ondra, je sais que la voie lui fait peur parce qu’il a des gros doigts et que c’est un handicap dans ce style, mais je pense que s’il décide de s’investir il va la faire, d’autant qu’il a peut-être l’allonge pour faire la méthode de droite beaucoup plus facile. Dans les outsiders, les deux Nico, Pelorson et Januel, ont démontré qu’ils savent concrétiser de gros projets, et pourraient tirer leur épingle du jeu s’ils trouvent la solution du premier mouv. Je pense qu’un Simon Lorenzi s’il se motive peut avoir une chance, Charles aussi mais j’y crois pas trop…
Bref, je réponds maintenant à la question : si je dois en garder un, ce sera Megos, talonné par Ondra. Mais par contre, ça me ferait plus plaisir que ce soit un Français !
Pour “Silence”, pas facile non plus ! Je dirais Seb Bouin ou Stefano Ghisolfi, avec une petite option sur Seb.

– Tu essaies d’avoir une démarche écolo en privilégiant le vélo et le train pour te déplacements en falaise. Décris ton raisonnement.

Bigre, par où commencer ? En fait, il faut que je sois honnête : je ne fais quasiment aucun effort pour avoir un mode de vie écolo et je vais la plupart du temps grimper en voiture.
Je suis pourtant assez persuadé, comme pas mal de gens maintenant, qu’il faudrait que tout change pour des raisons écologiques. Mais je vois plutôt ça comme une transition politique, avec des centaines de milliers d’ingénieurs missionnés par l’état qui feraient des consultations populaires, réfléchiraient et aideraient à organiser la mise en œuvre d’une transition en urgence, pour essayer de diviser par 5 ou 10 la consommation générale d’énergie (fossile) tout en essayant de laisser aux gens la possibilité d’être à peu près libre et heureux. Par contre, je crois que c’est un énorme piège de penser que la solution viendrait des individus qui changeraient radicalement de mode de vie chacun dans leur coin. Ça n’a strictement aucun sens parce que la société est organisée de manière à ce qu’on doive choisir entre polluer et s’aliéner soi-même pour ne pas polluer. Il faut offrir un autre choix aux gens que ce dilemme affreux.
Cela étant dit, en attendant le tournant politique, je pense qu’il faut faire preuve de décence dans nos comportements individuels et ne pas se déresponsabiliser totalement non plus, d’autant que cela nous prépare à accepter l’idée d’un changement politique.
Quand la transition se fera, ça m’étonnerait beaucoup que notre modèle de grimpe en falaise puisse subsister tel quel. Plein de jeunes grimpeurs n’auront probablement plus de voiture individuelle, ou alors elles seront minuscules et rouleront à 50, ou alors on ne pourra plus faire autant de kilomètres mais je vois bien les trips train/vélo gagner en parts de marché dans les années à venir.
On en vient à ce pourquoi j’ai fait quelques trips de grimpe sans voiture : pour l’expérimentation. Je voulais voir si c’était bien, agréable, compatible avec la performance…
Je donne quelques résultats en vrac de ces expérimentations : le lendemain d’une journée de vélo, un corps pas trop entraîné n’est pas prêt du tout à perfer, le surlendemain ça va déjà mieux. Ça donne une dimension esthétique au trip (et aux performances si elles surviennent) qui est vraiment incroyable : ça augmente fortement la saveur de l’expérience. Ça demande un surplus de temps si c’est juste un trip vélo et d’argent si c’est train/vélo ce qui n’est pas compatible avec certains travails et certains budgets…
Bref, je trouve que c’est un sujet très intéressant, il y a plein de solutions à trouver et à mettre en œuvre, mais encore une fois, il faudrait vraiment un appui politique. Parce que même avec la meilleure volonté du monde, s’il n’y a pas de place dans les trains pour les vélos ou si la SNCF fait du pricing sur votre dos pour vous faire cracher le plus d’argent possible, eh bien vous ne pourrez rien faire d’autre que l’avoir dans l’os.

– Tu partages ta vie depuis quelques années avec Caroline Sinno, spécialiste de bloc. Comment s’organise votre équilibre de couple de grimpeurs ?

Caro, elle est au moins aussi fanatique que moi. Elle se met des énormes projets en bloc dans lesquels elle ne fait toujours pas les mouvs au bout de 10 séances, mais elle lâche rien et elle finit par réussir alors que personne n’aurait parié un centime sur elle au début. En fait, même si elle c’est en bloc et moi en voie, on a exactement la même approche de l’escalade : ce qui nous anime vraiment c’est le après travail très long. Du coup on se comprend. Moi je sais à quel point c’est important pour elle d’avoir de la parade dans ses projets donc je fais de gros efforts pour la soutenir. Elle, elle sait que j’ai besoins de faire souvent des trips falaise d’une ou deux semaines voire plus pour essayer du dur, du coup elle me laisse m’organiser comme je veux et ne me fait jamais culpabiliser même si parfois, pour elle comme pour moi, c’est pas facile de passer du temps sans se voir. Puis si elle n’a pas trop de travail avec Crimp Oil elle vient avec moi en falaise.

“A la limite de la rupture”, Supermanjoc (coll. Julia Cassou)

– Tu sembles davantage intéressé par la falaise et pourtant tu habites en forêt de Fontainebleau. Pourquoi ce choix ?

Bleau, c’est vraiment un choix de couple. Caro rêvait de rester habiter là, et moi, ça m’allait pas trop mal parce qu’à Bleau, quand tu as un emploi du temps un peu flexible, tu peux aller toucher le caillou même en semaine dès que tu as un petit créneau de 2 ou 3h. Et puis en habitant sur place, c’est très rare de prendre des buts météo en réalité. Et de toute façon, les salles sont bien pour s’entraîner.
En fait, c’est bête à dire, mais ce qui me manque en habitant là-haut c’est plus l’ambiance du Sud-Ouest. Les amis (même si j’en ai aussi à Bleau !), la famille, les départs groupés en falaise et les arrêts boulange du samedi matin…

– Les grimpeurs qui t’inspirent et pourquoi ? Qu’est-ce qui t’inspire chez un grimpeur ?

Il peut y avoir plein de choses qui m’inspirent chez des grimpeurs. Leur vision, leur mental, leurs qualités physiques, leur virtuosité… Du coup il y a plein de grimpeuses et de grimpeurs qui m’inspirent à leur manière. Mais il y en où ça va plus loin. Il y en a sans qui ma vision et mon approche de l’escalade auraient probablement été très différentes. Je vais citer en citer trois, les trois mêmes que lorsqu’Émilien m’avait posé la question pour l’interview d’Escalade9.
D’abord, Chris Sharma. Toujours imité, jamais égalé. Les first ascent de “Jumbo Love” et “Es Pontas”, avec en plus des films parfaits à la clef, sont à mon sens les trucs les plus cool qui ont jamais été fait en grimpe et j’ai l’impression que c’est, au moins inconsciemment, le modèle après lequel je cours…
Ensuite, il y a mon pote toulousain Pierre Trolliet. C’est lui qui m’a appris à réfléchir la grimpe à contre-courant, c’est-à-dire en ayant honte de réussir une voie facilement. C’est la leçon la plus précieuse qui m’a été donné en escalade.
Enfin, il y a Charles Albert. Je raconte déjà suffisamment cet ovni dans mes articles sur Grimper, mais ce qui est incroyablement inspirant chez lui, c’est sa capacité à se détacher complètement de la finalité d’une action pour se concentrer exclusivement sur la manière, sans jamais céder à la tentation de perdre en élégance pour un meilleur résultat. C’est vrai en grimpe, mais pour tout le reste aussi. S’il cuisine, par exemple, il va s’appliquer énormément pour le faire dans les règles de l’art, il va mettre toute son énergie à l’exécution parfaite de la recette. Et le résultat gustatif ne sera qu’une conséquence dont il ne se préoccupe qu’à la fin, au moment de manger.
Je n’ai pas du tout cette prétention à titre personnel, mais, grâce à Charles, c’est quelque chose sur laquelle j’aspire à progresser.

– Si il ne devait rester qu’une ligne en escalade (falaise/bloc/grande-voie/deep water), qu’est-ce que tu choisirais ?

Vue la réponse faite au-dessus, “Es Pontas” ou “Jumbo Love”, mais on va dire “Es Pontas”. Parmi les voies que j’ai enchaîné, je garderais Donkey Kong, 8c+ à Supermanjoc pour toute l’émotion qu’elle m’a procuré, autant dans le travail de la voie qu’au moment de clipper la chaîne. S’il ne fallait en garder qu’une, je garderais celle là.

– Quels sont les projets que tu aimerais mener dans le futur ?

Tout d’abord, il faut que je réussisse à finir “Fight or Flight”. Maintenant, après tout le temps que j’ai passé dedans et surtout après en avoir tellement rêvé, je ne peux plus abandonner ! Je pense que cette voie, en termes de difficulté, est probablement à la limite de ce que je serai capable de faire dans ma vie. Au moins dans ce style. Peut-être que dans une escalade un peu moins à condi je serai capable de faire un peu plus dur, mais là, j’ai vraiment l’impression de jouer à ma limite tellement l’effort est long, soutenu, et demande d’être très en forme dans toutes les filières en même temps. Je vais y aller en mars, j’espère que je serai suffisamment en forme et qu’il fera le plus froid possible avec le plus de vent du Nord possible (le vent du Nord, c’est presque un biscuit pour cette voie tellement ça aide).
Et sinon, avec le grimpeur toulousain Fabrice Landry, on a dessikaté (avec la bénédiction de l’équipeur Éric Siguier !) un vieux 8c+ de Supermanjoc, ce qui donne un nouveau projet dans ma falaise de cœur, naturel, exceptionnellement beau et je pense à peu près du même niveau que “Fight or Flight”, mais dans un style un tout petit peu plus haché qui me convient un poil mieux. Trouver une telle voie à Saint-Antonin, avec en plus un pote aussi motivé que moi pour l’essayer, c’est juste le rêve. Ce sera mon objectif principal cette année.

Photo de couverture : Arthur Delicque

Interview Lucien Martinez
Portrait (coll. Arthur Delicque)

ENGLISH VERSION

All those who have met and talked with him will confirm that Lucien Martinez is not a climber who leaves you indifferent. A friendly and open character, sometimes taking clear-cut positions, having a very personal and original approach of the sport, like his friends Charles Albert or Nico Pelorson, Lucien is an UFO in the French climbing scene. Long interview with him.

– You’re from the South-West of France, precisely Montauban. Can you introduce yourself and tell us about your beginnings in climbing?

Before Montauban, I lived in Toulouse until I was 8 years-old and that’s where I started climbing. My mother had enrolled my brother and me in a weekly class with Mathieu Gallot Lavallée. There were people at the gym who told me that Mathieu was super strong and that he had done an incredibly hard outdoor route that only three climbers had sent, and that one of them had said this route was an 8c+. At the time this story fascinated me, and I understood perhaps 10 years later that the route was in fact “Baston à la Maison” in Saint Géry (in the Lot), and that the climber who had suggested 8c+ was none other than Dave Graham.
However, I was not particularly gifted or even motivated at the time. My passion was rugby. I played rugby for three years and was super strong, much more than at climbing. Those who knew me at the time will be able to testify to this, even if I admit that it may seem hard to believe given my rather skinny physique now. Arriving in Montauban, there was no more spots at the rugby club, while at the same time the climbing gym was close to my house. There was a free access formula that allowed us to go alone in the evening after school, so I started going there more or less every evening. I started thinking only about that. I bid my time all day waiting to go back and try the boulders that had resisted me the day before. I was only looking to have fun, not to train at all, but I improved nonetheless and my level increased progressively in the next 2 or 3 years. At that time Hervé Peyre, our instructor, began to regularly take the club’s youngsters to the crag of Saint Antonin. He put top-ropes up for us, helped us choose routes, gave us advice and beta, told us stories about the lines and the climbers in the area… And by the by, perhaps helped by the fact that I never managed to beat my good friend François Kaiser (whom I hereby salute!!) in competition, I fell in love with rock climbing. At 13 or 14 I had become pretty much independent. I had a list of phone numbers of climbers I knew, and on Saturday evenings I would call them all one by one until I found someone to take me to the cliff.

– Once you graduated in agronomics, you dropped everything for climbing, why?

In my last high school year, I was more hungry for climbing than ever, more or less obsessed. But after my Bac (end of high school exam) I got into a Prépa (preparatory class) and could only squeeze in Saturday afternoons at the crag. I was extremely frustrated. I could see everyone grabbing hard ticks, improving, loving life and I was so envious. As soon as I got into my Engineering School I was able to climb more and spend the whole weekend outdoors, but it wasn’t that easy to juggle both so I still had to find some kind of compromise regarding climbing.

With my diploma in the bag, in actual fact, at first I had no desire to throw it all away, I just wanted to take a year off in order to focus 100% on the two lines that I was fantasising about, ‘Fight or Flight’ and ‘3 Degrees of Separation’. The idea was to send them before looking for a rather busy engineering job. The problem is that regardless of my motivation, my single mindedness and my attempts, I couldn’t send either. I realised two things. First, that to make my dreams come true I had to improve, and not just a little. Second, that climbing was my world, that I would never get bored of it and it’d be silly not to work in climbing given all the above. I thought long and hard about what to do and in the end decided to give journalism a go, with the safety net of going back to engineering if it didn’t work out. Overall I feel at home where I am now, I do something I’m passionate about and I think I bring more with my job at Grimper (main French climbing magazine) than I would have an engineer.

– You were interested in high level climbing very early on. Why does this subject particularly interest you?

Oh my God, you’re asking me to do my own psychoanalysis ! High difficulty in climbing has, I find, something fascinating. It has its mysteries, gossip, rivalries, epic fights lasting several years, climbers who manage to perform incredible feats by being very clever, first ascents that are akin to Grail quests with several protagonists… All of this, and that’s what’s incredible, without any official framework!

– You’re very interested by grades, and you think that the slash shouldn’t exist, why?

I don’t know if I’ll manage to explain myself but I’ll give it a shot! What little recollection I have of my preparatory class time is that grades are a discretisation of a continuous whole. Meaning that a grade is no way near a precise value for the difficulty of a route, rather a range. If we take the notion of a ‘grading scale’, we must understand that a grade, say 7a, is not a rung but the space between two rungs, where the rungs represent the limits between 7a and 7a+ at the top, and 7a and 6c+ at the bottom. If we say that a route is 8c+/9a, it cannot mean that its difficulty is located bang on the rung separating 8c+ from 9a, because it’s mathematically impossible (the probability that the difficulty of a route lies right on a rung is zero, cf. my math classes). To say that a route is 8c+/9a implies adding a new gap between 8c+ and 9a in the grading scale. To use slash grades is to accept the rejigging of all the rungs on that scale (as well as adding some) in order to make way for new ones and effectively double that number. Nothing forbids it, but it would entail a reassessment of the grade of each line. The hard 8a would become 8a/+, the easy 8a+ likewise and so on and so forth for all the routes in the world.

On top of this issue, I think that the current level of accuracy in the grading scale is not that bad, and that it’s already tricky getting a consensus. It’s therefore not that pertinent to shuffle everything around by doubling the current number of grades.

But, for there is a but, I am not against slashes in their two original uses. At the beginning, they weren’t used to add a grade to the scale, but to express a doubt between two grades, thereby leaving repeaters to refine it. I think this is a good use of the slash, and that’s why when I repeat a slashed route I try to give my opinion with the most honesty and openness possible.

The other use of the slash, historically, and which is also interesting (I know it was for instance the case for the Saint Antonin topo) had to do with morphology-dependent routes: it gave an inkling that the route wasn’t the same difficulty for everyone.

Interview Lucien Martinez
Climbing in Font – Red Rocket (coll. Stephan Denys)

– As a climber, you are particularly stubborn on extreme redpoint projects such as “Fight or Flight”. Why try to push your limits all the time?

Well, this question points to a huge problem. For me, it works like a quest with twists and turns and an uncertain end. A hard route that makes me dream, it’s a Grail that I’m trying to reach. I dunno if I’ll get there, but I dream of it, sometimes even literally. And I want to give it my all to succeed.
It’s all very well on paper, but from the moment you accept the fact of really wanting to do very hard things, you tie yourself up to them…

We can no longer go climbing wherever, whenever because we are enslaved to our goals and our training. We no longer see climbing other than through the prism of our quest, to the point that we forget the fun, precisely what made me love climbing in the first place. I don’t like being a monomaniac, not at all. There are plenty of other sports that I love and that I unfortunately no longer practice, not to mention requests from friends that I decline… But you can’t have everything. Wanting to do “Fight or Flight” while remaining open, free, practicing lots of other sports and taking the time to make beautiful Climbing magazines, I know very well that it’s not possible for me. So for the moment, I’m staying fully focused on performance, but I’m very torn because I don’t really like this state of rigidity in which I find myself in.

– In the last few years, instead of repeating famous hard routes you’ve turned to local crags, with unusual first ascents and repetitions (“Beyond”, “3 degrees”, “FFF”, “Hugh”…). Is it planned?

If I invest myself in a route, it has to have a particular meaning, through its history, its location and whatever else… For ‘FFF’, it’s clearly not a beautiful line but it’s located in Supermanjoc, my childhood crag, and for years I walked past it, looking up, telling myself it would impossible. For ‘Hugh’ the mystery attracted me, I was very curious to get my fingers on it and see what was what. For ‘Beyond’, the route was nice and in my style. For ‘3 Degrees’ it had been a dream ever since watching Sharma’s video, one of the very best. Getting to Ceüse more than 10 years after watching it, catching a glimpse of the three yellow tufas at the start as you walk up the last steep part of the path, touching the holds for the first time, trying the moves wondering if they are like what I imagined, then throwing attempt after attempt before finally succeeding… All this was an incredible experience, and so much nicer than for a route without context, without Sharma’s video and the dozen viewings, aged 12, mouth agape in front of my dad’s computer screen.

For short, it’s not that I don’t want to repeat the more fashionable lines, on the contrary I like it, but other contextual elements such as the mystery or the South-West crags also matter in the routes I decide to focus on. For me, the most important is what has meaning for me.

What’s your vision of climbing in France for 2022?

I imagine that this question could be approached from many different angles (gyms, management of crags, climbers etc.) but the only one for which I think I have something interesting to say concerns the high level in rock climbing: in my opinion France is once again becoming the center of the world, as it was at the end of the 90s and the beginning of the 2000s, before Sharma moved it by living in Catalunya. We have all the routes by Seb Bouin (at La Ramirole but not only) which are extremely huge and from which Ondra, Megos, Schubert and Ghisolfi will not be able to avoid forever… And in addition we have Céüse and Saint-Léger with lots of new extreme routes and major projects everywhere. We have been witnessing a new dynamic in France in the last 2-3 years and I am betting that this trend will increase and the decade of the 2020s will be the one of France, like that of the 2010s (and the end of the 2000s) was for Catalunya.

– What do you think about the climbing press in general, and particularly the climbing websites?

Paradoxically, I find the web press is doing quite badly because it’s vampirized by Instagram. Before, when you were writing for Kairn.com some years ago, we were eagerly awaiting news of the new sends because that was really where we learned what was going on. Now, instagram has stolen the show and almost all the key information in our small world arrives there first. And we, the media, find ourselves forced to summarise by reformulating the “official press releases” that the athletes publish on Insta, or to ask them for interesting details, but in any case it’s on Instagram that the info comes first. The usefulness of the web press then becomes a kind of funnel of social networks that filters information and performances by importance to its readership. It’s still interesting because not everyone follows what’s happening on Instagram, and so there are a lot of people who still learn a lot of things from the web press, but it’s not quite the same anymore

– The advent of social media has revolutionised and sped up the sharing of information. Is it good or bad? What is your take? And how do you use them?

As my previous answer suggests, I am in complete agreement with your statement! I tend to say that it’s neither good nor bad, but that is it what it is and we have to make-do. Yet I’m going to allow myself a slight criticism. The social media logic is strongly biased towards self-promotion. You have an account and share your exploits with more or less subtlety. I think that a system forcing people to sing their own praises to exist has a problem. At any rate it does bother me, even if I follow a number of accounts with pleasure and would be sad to see them go!

As for me, I’m only on social media to keep up-to-date and see what others share, I never do. But I am aware that if I didn’t make a living with Grimper and had to find my feet as an independent journo, or if I’d tried to become a pro climber, I would probably not be able to skip the self-promotion on social networks.

Interview Lucien Martinez
FFF, Supermanjoc (coll. Sam Bié)

– We often hear that paper magazines are not doing very well. Since you started, what are your satisfactions and also the pitfalls that you have encountered or still encounter as a journalist?

Here, however, I don’t agree with this statement! As far as climbing is concerned, the paper press seems to me to have everything needed to do pretty well. I’m thinking in particular of photos. Climbing photography is something rich and aesthetic and is working very well. There is the climber, his/her face, position, the holds, the shape and the colors of the rock, the landscape… Besides, there are quite a few photographers who are passionate and super good. It would be too bad if all the beautiful climbing photos no longer or almost no longer existed except for screens. For the texts too, I believe that on paper we can stand out from the web by making, for example, somewhat complete topics like those of Grimper for Céüse and Fontainebleau, but also by providing fairly complete background analyses on historical themes.
Obviously, as far as fresh news are concerned, it happens a month later or even more with paper magazines, so the battle is lost in advance, but I believe that there remains and will remain a big opportunity for the paper, because by playing on the angle of quality, paper magazines bring things that the web doesn’t. But that’s up to us to prove it by producing beautiful (and interesting!) magazines.
Concerning satisfactions and pitfalls, it will soon be 3 years since I’ve made editor-in-chief of Grimper so there have necessarily been things that have worked more or less well. There is one thing in particular that people don’t necessarily realise, it is the multiplicity of issues when you release a magazine. We want the reader to be happy and make people dream, we want the issue to sell well, of course, but we must also avoid at all costs sowing discord in the territories we are talking about by forgetting, for example, to involve such bolter or climber who has given their passion and their time on the crags concerned, or by not raising the issue of sectors threatened with a ban, and so on. It’s almost impossible to tick all the boxes, but it’s very satisfying when, for certain issues, you can get close. At the same time, it’s disappointing when you can’t.
And if not, I would like there to be a little more humour and derision in magazines, but I still haven’t found a suitable formula… Gilles, if you’re reading this interview and you want to take up the fake covers, the door is wide open!

– In your writing, we can often feel something vaguely literary/philosophical, can you tell us more?

Yes I can. In fact, it’s not really out of a particular interest for literature or philosophy, it’s much more wide-ranging. I’m so conditioned to thinking about climbing that my brain often finds parallels between climbing and things that are completely foreign. I find it amusing and like to share them in my articles. If it’s well done-I’ll admit it doesn’t always work-it can add to the interest and the depth of my writing, or just serve as a hook. But it doesn’t only concern literature or philosophy (areas in which I want to stress I have zero ambitions), it can be movies, other sports or disciplines… I’ve even made a comparison between grades and the tables we used to study in Chemistry… I hope that one day I’ll have the opportunity to explain myself in an article!


– How would you answer people who think you have too elitist an approach?

That I take part of it. In self-mockery, I sometimes say that I can’t find people who have strong finger power unsympathetic! Excellence, whatever the field, is very interesting, even fascinating. I wouldn’t be able to give the source, but I remember Adam Ondra saying that the higher the level you reach, the more the practice of climbing is interesting because it becomes more complex. I pretty much agree with that.
As far as my friendships are concerned, on the other hand, I totally deny it. Honestly, since I spend all my time climbing, I’m used to associate with people who are passionate and therefore a bit strong, but it would be an insult to my friends to appreciate them for their level in climbing. I’m friend with people because I like talking to them, I find them friendly, they make me laugh or whatever.
As much as excellence is quite fascinating, when you get to know people well, it loses a lot of importance in the relationship until it ends up disappearing almost completely.

– What’s the most outrageous climbing feat you’ve been privy to?

From time to time, I see people do stuff that I don’t even understand are possible. Ok, so 3-4 examples for the fun of it. Adam Ondra’s warm-up at Entraygues before missing out on the flash of ‘La moustache qui fâche’. He was onsighting 8a and 8b (unless he’d climbed them 10 years previous) with such ease I thought I’d get more pumped climbing a 6c. It was incredible.

Another example, the first time I set foot in Oliana, Ramon chilled his way up Joe Blau (8c+) resting everywhere, even in the cruxes. Because the rhythm of his climb was so broken we thought at the time he was onsighting it, but we learnt that he’s gone up it once the week before. Insane.

In Font, many times I saw Charles Albert do things so out of this world I would have called them impossible without having been a witness. Like flash FAs or in a handful of runs of 8A on a move that no one else can get anywhere near, or 7B slabs in trainers by simply annihilating miserable grains of sand with his nails…

A last one for the road. In the 65° overhang of Blocage, the small ‘gym’ in Font, Nico Pelorson opened a boulder (red holds) with a move of pure crimping and core strength that seemed to me not to work. Yet Nico managed to do it, and even adding the two moves prior. It was around the time he made Big Island sit and he was a monster. The climbers who passed by the gym and saw his boulder thought it was so impossible as to be a joke.

– All other things being equal, you have to bet on the person who will free the “Bombé bleu” first: who is your favorite? And for the first repeat of “Silence”?

The best profiles to do “Bombé bleu” are in my opinion Alex Megos and Jakob Schubert because they probably have the level of strength necessary to solve the first boulder crux, but also enough resistance to climb the 9a that follows with safety. Adam Ondra, I know that the route scares him because he has large fingers and that’s a handicap in this style, but I think that if he decides to get involved he’ll do it, especially since he may have the ape index to be able to choose the easier starting beta to the right. For the outsiders, the two Nicos, Pelorson and Januel, have demonstrated that they know how to tick big projects, and could send it if they find the solution for the first move. I think that Simon Lorenzi, if he motivates himself, stands a chance, Charles too but I don’t really believe it.
In short, I’m now answering the question: if I have to keep one guy, it will be Megos, followed by Ondra. But on the other hand it would make me happier if it were a Frog!
As regards “Silence”, not easy either! I would say Seb Bouin or Stefano Ghisolfi, with a small advantage to Seb.

Interview Lucien Martinez
Brushing in Font (coll. Arthur Delicque)

– You’re trying to have a greener approach to climbing by favouring bicycles and trains to go cragging. Can you expand for us?

Phew, where should I start?! In fact, I have to be honest here: I make very little effort to be greener, and most of the time I drive to my crags.
Yet I am quite convinced, as many others now, that all this needs to change, for ecological purposes. But I see it mostly as a political transition, with hundreds of thousands of engineers tasked by the government to survey the people, to think and help organise the urgent transition in order to divide by 5 or 10 the overall consumption of fossil energy while giving people the opportunity to still be free and happy. On the other hand, I believe it’s an enormous trap to think that the solution will come from individuals who would radically change their modus operandi in isolation. It makes no sense because society is organised in such a way that people have to choose between pollute and deny themselves in order to stop polluting. What must be offered people is another choice than this awful dilemma. Having said that, as we wait for this political shift, I think that we must show decency in our personal behaviours and not think we can’t do anything either, if only because it prepares us to accept the idea of a political sea change.

When this transition will take place, I’d be surprised if our current outdoor climbing model could survive. A lot of young climbers probably won’t have a private car, or they’ll be tiny and only do 50 kph, or we won’t be able to drive as many kilometres; so I do see the train/bicycle trips gaining in popularity in years to come.

Which brings us back to why I tried a few trips without cars: for the sake of experimentation. I wanted to know if it was nice and compatible with performance… Let me give you a few personal conclusions: the day after a day on the saddle, a body that is not so trained for it is not at all ready to perform, but two days after it improves. It adds a certain aesthetical dimension to your trip (and to the sends if they happen) that is truly magical: it strongly increases the flavour of the experience. It also requires added time if it’s only by bike, and money if a combo train/bicycle that is just not compatible with certain budgets or jobs…

In short, I think it’s a great topic, there are a lot of solutions to be found and put in place, but again, what’s really needed is political support. Because even with the best will in the world, if there’s no room on trains for your bicycle or if the SNCF (train company) decides to make money out of you, well there’s nothing you can do can you!

– You’ve been in a relationship with Caroline Sinno, a bouldering addict, for a few years now. What does the life of a high flying climbing couple looks like?

Caro, she’s at least as fanatical as me. She invests herself a lot on huge bouldering projects in which she still does not move after 10 sessions, but she never gives up and often ends up succeeding when no one would have bet a penny on her at the beginning. In fact, even if she is only bouldering and I’m mostly rock climbing, we have exactly the same approach: what really drives us is the very long redpoint projects. So we understand each other. I know how important it’s for her to have a spot on her projects so I do my best to support her. And on the other hand she knows that I often need to do rock climbing trips of one or two weeks or more in order to try hard, so she lets me organise myself as I want and never makes me feel guilty even if sometimes, for her as for me, it’s not easy to spend time without the other. Then if she doesn’t have too much work with Crimp Oil she also comes with me at the crag.

– You seem more interested by rock climbing and yet you live in the forest of Fontainebleau, far from the crags. Why this choice ?

Font is really a couple’s choice. Caro was dreaming of living there, and me, it didn’t suit me too badly because in Font, when you have a somewhat flexible schedule, you can go and touch the rock even during the week as soon as you have a little time slot. 2 or 3 hours. And then by living there, it is actually quite rare to be turned down by the weather. And anyway, the gyms are good for training.
In fact, it may be silly but what I miss living up there is more the atmosphere of the Southwest. Friends (even if I also have some in Font!) family, group start for the cliff, and Saturday morning bakery stops…


– Which climbers inspire you and why? What inspires you in a climber?

There can be lots of things that inspire me in climbers. Their vision, their mind, their physical qualities, their virtuosity… So there are plenty of climbers who inspire me in their own way. But there are some where it goes further. There are some without whom my vision and my approach to climbing would probably have been very different. I am going to quote three of them, the same three as when Émilien asked me the question for the Escalade9 interview.
First, Chris Sharma. Always imitated, never equalled. The first ascents of “Jumbo Love” and “Es Pontas”, and perfect films, are in my opinion the coolest things that have ever been done in climbing and I have the impression that it’s, at least unconsciously, the model I go after…

Then there is my buddy from Toulouse Pierre Trolliet. It was him who taught me to think about climbing against the current hype, and to put my limits further, for example by being ashamed of succeeding in a route easily. This is the most valuable lesson that has been given to me in climbing.
Finally, there is also Charles Albert. I already tell enough about this UFO in my articles on Grimper Magazine, but what is incredibly inspiring about him is his ability to completely cut himself off from the finality of an action and focus exclusively on the move, without falling into the temptation to lose elegance for the sake of a better result. This is true in his climbing, but for everything else too. If he cooks, for example, he will apply himself enormously to do it according to the rules of the art, he will put all his energy into the perfect execution of the recipe. And the taste result will only be a consequence that he only cares about at the end, when eating.
I cannot claim any of this personally but, thanks to Charles, it is something on which I aim to improve.

– If there was only one climbing line left (route/boulder/multipitch/deep water), which one would you choose?

According to the answer made above, “Es Pontas” or “Jumbo Love”, but I will choose “Es Pontas”. Among the routes I have sent, I would keep “Donkey Kong”, 8c+ at Supermanjoc for all the emotion it gave me, both during the work on the route and when clipping the chain. If I had to keep only one line, I would keep this one.

– Which projects would you like to accomplish in the future?

First of all, I have to manage to finish “Fight or Flight”. Now, after all the time I’ve spent on it and especially after dreaming about it so much, I can’t give up! I think this route, in terms of difficulty, is probably at the limit of what I will be able to do in my lifetime. At least in this style. Maybe on a climb slightly less condition-dependent I’ll be able to do a little harder, but here, I really feel like I’m playing at my upper limit as the effort is so long, sustained, and requires me to be very fit in all aspects at the same time. I’m going to go back again on it in March, I hope I’ll be in good enough a shape and that it will be as cold as possible with as much North wind as possible (the North wind is almost a big help for this route).
And otherwise, with Fabrice Landry, we got rid of some sika holds (with the agreement of the bolter, Éric Siguier!) on an old 8c+ of Supermanjoc, which gives me a new project at my beloved crag, natural, exceptionally beautiful and I think pretty much of the level as “Fight or Flight”, but in a slightly more bouldery style which suits me a bit more. Finding such a route in Saint-Antonin, with a friend as motivated as me to try it, is just a dream. This will be my main goal this year. for sure!

Cover Pic: Arthur Delicque

Interview Lucien Martinez
Portrait (coll. Arthur Delicque)





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