Laura Pineau continue son grand bonhomme de chemin dans le trad en enchainant “Greenspit”, 8b, la belle et fameuse fissure de la vallée d’Orco, Italie, ainsi qu’elle l’annonce sur Instagram. Il s’agit de la deuxième ascension féminine de cette voie iconique du trad européen, après l’inévitable Babsi Zangerl.
Ouverte avec les protections in situ par Didier Berthod en 2003, et en plaçant les points l’année suivante, la ligne a vu une belle brochette de répétitions depuis, y compris par Jernej Kruder cet été, le slovène se découvrant un appétit certain pour l’engagement du trad.
Qui est Laura Pineau ? Une grimpeuse dont vous allez de plus en plus entendre parler. En partance pour ses études aux États-Unis en 2021, Laura était une grimpeuse passionnée avec quelques faits d’armes remarquables comme une ascension en 8a/+ à Toulon en deep-water solo, culminant à 22m de haut. Premier indice d’un cerveau fait un peu différemment.
Son passage outre-atlantique lui a réussi, puisqu’après “The Phoenix” en 2023, cette année Laura a glané une free ascent de “Free Rider”, au Yosemite (LA voie du Free Solo d’Alex Honnold), ou encore quelques belles ascensions en trad avec la fissure de “Butterfly Circus” à Ticino (8a+), puis “Turkey Crack” à Cadarese (8a), ouverte par Sean Villanuena O’Driscoll en 2010.
“Greenspit” montre que le métier rentre extrêmement bien pour Laura Pineau, et que des faits d’armes encore plus hauts l’attendent.
– Salut Laura Pineau, tu vis entre la France et les US, peux-tu te présenter ?
J’ai fait une école de commerce aux US, 3 ans au total, plus une année de visa pour travailler là-bas légalement. J’ai fini mes études en mai 2022 et j’ai trouvé un job en tant que commerciale pour une start-up américaine qui avait besoin de développer le marché français, et qui était complètement à distance. C’est là que j’ai réalisé que je pouvais vivre en van dans des lieux incroyables de grimpe aux US et en même temps pouvoir travailler et être indépendante financièrement, ce qui était génial, un super combo pour moi. J’ai gardé ce job pendant deux ans et demi, et j’ai arrêté il y a 3 semaines, juste avant ma répétition de “Greenspit”, ce qui m’a permis d’avoir l’esprit tranquille et de toute donner dans ce projet, avant que je retourne aux US et précisément au Yosemite le 23 octobre.
– Pourquoi aimes-tu autant les fissures ? Quels sont tes projets dans le style ?
Mon histoire avec les fissures date d’il y a 2 ans. J’ai assisté dans le Wyoming à une conférence où j’ai fait la connaissance de la grimpeuse professionnelle Britanny Goris qui est une des machines et des icônes de la fissure aux US, elle a réalisé des premières ascensions féminines, elle a grimpé “Salathé” à El Capitan, elle a fait énormément de choses ; c’est aussi une super forte grimpeuse en escalade sportive. C’est suite à cette rencontre que je me suis mise au trad car elle a accepté de m’enseigner la grimpe en fissure en Utah, en septembre 2022. C’était génial car elle travaillait un projet en 8b et le lendemain elle venait m’assurer dans des projets plus faciles pour apprendre à placer les coinceurs et toutes les techniques de fissure. Elle a été énormément patiente et personnellement j’ai accepté de retourner dans des niveaux plus bas, avec des fissures en 5, pour ne pas me faire peur, et en prenant mon temps, pas à pas. J’ai appris grimper en fissure, à tomber sur les coinceurs, à placer ma confiance dans les protections que je pose… une expérience assez incroyable. C’est Brittany qui m’a dit d’essayer “Free Rider” à El Cap, en me disant que j’avais les capacités de le faire. En Avril 2023, je suis allée au Yosemite pour un mois, guronsée comme jamais, mais j’ai réalisé en quelques jours que c’était beaucoup trop dur, et que le granite était une grimpe à part. Je suis donc repartie sur des fissures un peu plus faciles dans le 6 pour être à l’aise et en 15 jours je me suis formée en big wall, et à la fin de mon séjour, j’ai tenté une ascension de “The Nose” qui n’a pas été un succès : on est redescendus en dessous du Great Roff car 2 italiens nous ont dit qu’il y a avait une cascade d’eau qui tombait de “Changing Corners” et que c’était impossible de passer. Ils étaient équipés de pantalons imperméables, kways alors que nous étions à poil, sans portaledge, et non préparés pour la pluie. Nous avons donc réalisé les 600 mètres de rappel pour descendre. Cette expérience a changé ma vie car j’ai eu l’impression de trouver un sens à ma pratique de l’escalade. De puis ce jour-là, j’ai trouvé une vocation et j’ai compris que le big wall et la fissure c’était vraiment mon truc, et que c’est là dedans que je voulais m’entrainer et vraiment performer !
– Tu as passé du temps à Squamish, as-tu rencontré Didier Berthod ? Raconte-nous un petit peu, quelles fissures t’attirent là-bas ?
Effectivement j’ai passé 2 mois l’été dernier là bas il y a un an. J’ai eu le temps de rencontrer Didier Berthod et on a bien sympathisé, on a parlé de plein de falaises en Europe qu’on connaissait, il a été prêtre dans ma ville de Toulon, et il m’a raconté son histoire et “Greenspit”, mais ce n’est pas à ce moment-là que j’ai eu envie de grimper “Greenspit”. C’est davantage la vidéo de Babsi qui m’a motivée, trouvant la ligne magique. J’ai été inspirée au début et l’avais gardé dans un coin de ma tête, mais sans planification particulière.
Concernant les fissures de Squamish, il y a évidemment la célèbre “Cobra crack”, je pense qu’un jour ça y viendra, après j’ai quand même eu beaucoup d’échos que de très grandes grimpeuses de fissure qui s’y sont attelées, avec des blessures, c’est une fissure à doigts en très gros dévers, il y a un mono inversé, donc très accidentogène aussi. Les conditions sont très compliquées à Squamish avec l’humidité, c’est pas facile. Comme projet c’est vraiment challengeant, quand je vois comment galère Amity Warne qui est une des meilleurs grimpeuses du monde en trad pour moi, il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Ce n’est pas encore sur ma liste, je la regarde de loin, mais on ne sait jamais, peut-être qu’un jour cela pourrait venir !
– Combien de temps cela t’as pris pour “Greenspit”, que penses-tu de la difficulté au regard de tes précédentes réalisation en trad, notamment “Butterfly Circus” et “Turkey crack” ? Comment ça se passe niveau engagement ?
C’est beaucoup plus difficile que “Butterfly Circus” et “Turkey crack”. Butterfly Circus m’a pris 4 essais, et j’ai failli le faire à la séance, pareil pour “Turkey crack”. Là “Greenspit” j’ai mis au total 12 seances, 10 séances cette fin d’été plus 2 séances en juin mais les conditions étaient horribles et il pleuvait beaucoup, avec de l’humidité dans la fissure. Je n’avais fait que 8a+ en escalade sportive comme en fissure, donc c’est vraiment la chose la plus dure que j’ai jamais réalisée. Pendant 4/5 séances je me suis concentrée sur les réglettes du milieu de la section dure car c’est le passage qui me posait des problèmes. Le moment où j’ai réussi à passer cette section je me suis dit que c’était possible, et à partir de ce moment j’arrivais à aller 2/3 mouvements plus loin, jusqu’à l’enchainement avec des bonnes conditions. Niveau engagement, les coinceurs sont faciles à poser et à trouver, je n’ai jamais eu une protection qui a sauté. Au début forcément tu en mets un peu plus, de manière à pouvoir déséquiper et les remettre. J’ai trouvé assez vite au bout de 3/4 séances que c’était plus facile pour moi de les placer plutôt que de les laisser en place, car vu que des fois j’avais les pieds en avant, je me retrouvais avec le coinceur dans les pieds, ce qui n’était pas très pratique. Cependant, vu que c’est pas non plus rando et que tu ne peux pas rester 2h sur un coincement de main pour placer ta protection, j’ai changé un ou deux coinceurs de place pour qu’ils soient plus faciles à placer rapidement, sans avoir à les tester et les mettre de gauche à droite pour voir si ils sont bons ou pas, donc j’ai essayé de les mettre à un endroit plus ou moins clé pour moi, sur la bonne main. Donc c’était tout de même assez stratégique, d’autant que sur la fin nous n’utilisons pas les même coinceurs. Certains préfèrent des coinceurs un peu plus loin, d’autres en mettent très loin avant le crux puis ils n’en mettent plus jusqu’au dernier move. Moi j’ai toujours eu des coinceurs assez proches, 8 au total, 2 que je place au départ en raison du retour au sol, et 6 dans le reste de la voie, 3 de chaque côté du harnais.
Pour plus d’informations, retrouvez Laura en podcast ici ou tout en bas de l’article.
Photos de Pinopictures
Laura Pineau is continuing her progress in trad by climbing ‘Greenspit’, 8b, the beautiful and famous crack in the Valle dell Orco, Italy, as she announced on Instagram. This is the second female ascent of this iconic trad route, after the inevitable Babsi Zangerl.
Opened with prepladed pro by Didier Berthod in 2003, and by placing gear the following year, the line has seen a fine array of repetitions since then, including by Jernej Kruder this summer, with the Slovenian discovering a definite appetite for trad commitment.
Who is Laura Pineau? She’s a climber you’re going to be hearing more and more about. On her way to the United States in 2021 for her studies, while a climber in the 7th degree, she climbed an 8a/+ DWS route in Toulon, culminating at 22m. It was the first sign that her brain is made a little differently.
Her time on the other side of the Atlantic has paid off, as after ‘The Phoenix’ in 2023, this year Laura gleaned a free ascent of ‘Free Rider’, in Yosemite (THE route of Alex Honnold’s Free Solo), the crack of ‘Butterfly Circus’ in Ticino (8a+), then ‘Turkey Crack’ in Cadarese (8a), opened by Sean Villabuena O’Driscoll in 2010.
‘Greenspit’ shows that Laura Pineau’s career is going extremely well, and that even greater feats await.
– Can you tell us a bit about you? Have you finished your studies in the USA, what are you doing now beyond climbing?
I went to a business school in the US for a total of 3 years, plus a year’s visa to work there legally. I finished my studies in May 2022 and found a job as a sales assistant for an American start-up that needed to develop the French market, and which was completely remote. That’s when I realised that I could live in a van in some incredible locations in the US and at the same time be able to work and be financially independent, which was brilliant, a great combo for me. I kept this job for two and a half years, and I stopped 3 weeks ago, just before my ‘Greenspit’ repeat, which gave me peace of mind and allowed me to give my all to this project, before I return to the US and specifically to Yosemite on 23 October.
– You seem to have a particular liking for cracks. Can you tell us why? Do you also have ambitions in face climbing, either trad or sport?
My story with cracks goes back 2 years. I went to a conference in Wyoming where I met the professional climber Brittany Goris who is one of the machines and icons of crack climbing in the US. She did first women’s ascents, she climbed the ‘Salathé’ on El Capitan, she’s done a lot of things and she’s also a super strong sport climber. It was after meeting her that I got into trad climbing, because she agreed to teach me crack climbing in Utah in September 2022. It was great because she was working on an 8b project and the next day she’d come and belay me on easier projects to learn how to place pro and all the crack climbing techniques. She was extremely patient and I personally agreed to return to lower levels, with cracks in the 5 degree range, so as not to scare myself, and taking my time, step by step. It was Britanny who told me to try ‘Free Rider’ in El Cap, saying that I had the ability to do it.
I learnt how to climb cracks, how to fall on nuts, how to put my trust in the protection I put in… a pretty incredible experience. It was Brittany who told me to try ‘Free Rider’ on El Cap, saying that I had the ability to do it. In April 2023 I went to Yosemite for a month, psyched like never before, but I realised within a few days that it was far too hard, and that granite was a climb apart. So I went back to the slightly easier cracks in the 6s to get comfortable, and in 15 days I’d trained as a big wall climber. At the end of my stay, I tried to climb ‘The Nose’, which wasn’t a success because we had to go back down below the Great Roof because there were 2 Italians who told us that there was a waterfall falling from ‘Changing Corners’, and that it was impossible to get through. They were wearing waterproof trousers and k-ways, whereas we had nothing, with no portaledge, and unprepared for the rain. So we abseiled 600 metres to get down. It was a life-changing experience for me, because I felt I’d found meaning in my climbing. That day, I found a vocation and realised that big walls and cracks were really my thing, and that’s where I wanted to train and really perform!
– You spent time in Squamish: did you meet up or even climb with Didier Berthod, who opened ‘Greenspit’? Any desire to try some hard cracks over there?
I actually spent 2 months there last summer, a year ago. I had time to meet Didier Berthod and we got on really well, we talked about all the crags in Europe that we knew about, he was on loan in my town of Toulon, and he told me his story and about ‘Greenspit’, but it wasn’t at that point that I wanted to climb ‘Greenspit’. It was more Babsi’s video that motivated me, finding the line magical. I was inspired at the beginning and kept it in a corner of my mind, but without any particular planning.
As far as the cracks in Squamish are concerned, there’s obviously the famous ‘Cobra crack’, which I think will come up one day, but I’ve also heard that some very good crack climbers have tried it and got injured, it’s a very steep finger crack, there’s an inverted mono, so it’s very accident-prone too. The conditions are very complicated at Squamish with the humidity, it’s not easy. As a project, it’s really challenging, and when I see how Amity Warne, who is one of the best trad climbers in the world for me, is struggling, there are a lot of things to take into account. It’s not on my list yet, I’m looking at it from a distance, but you never know, maybe one day it could happen.
– How long did you work “Greenspit”? What did you find the hardest compared to “Turkey Crack” or “Butterfly Circus”?
It’s much more difficult than ‘Butterfly Circus’ and ‘Turkey crack’. Butterfly Circus took me 4 tries, and I almost did it in one session, and the same for ‘Turkey crack’. It took me a total of 12 sessions on ‘Greenspit’, 10 at the end of the summer plus 2 sessions in June, but the conditions were horrible and it rained a lot, with moisture in the crack. I hadn’t done anything other than 8a+ in sport climbing or cracks, so this is really the hardest thing I’ve ever done. For 4/5 sessions, I concentrated on the crimps in the middle of the hard section because that’s where I was having problems. When I managed to get through that section, I told myself it was possible, and from then on I was able to go 2/3 moves further until I reached the link-up in good conditions. In terms of commitment, the pro are easy to put on and to find, and I’ve never had a piece of pro ping off. At the start, of course, you put on a bit more, so that you can unhook and put them back on. I soon found, after 3/4 sessions, that it was easier for me to put them on than to leave them on, because sometimes I’d have my feet in front of me and I’d end up with the pro in my feet, which wasn’t very practical.
However, as this wasn’t a stroll either and you can’t stay 2 hours on a hand jam to place your friend, I moved one or two pro so that they were the easiest to place quickly, without having to test them and put them from left to right to see if they were good or not, so I tried to put them in a place that was more or less key for me, on the right hand. So it was quite strategic, especially as at the end we didn’t use the same friends. Some of us like them a bit further away, others put them a long way before the crux and then they don’t use them again until the last move. I’ve always used friends fairly close together, 8 in total, 2 that I put at the start because of the risk of groundfall, and 6 in the rest of the route, 3 on each side of the harness.
For more info, listen to Laura in this podcast just below (French though…).
Pictures by Pinopictures