Informés d’une décision du comité directeur de la FFME concernant le positionnement fédéral autour de la future gestion des Sites Naturels d’Escalade en France, nous nous sommes récemment intéressés au dossier de la gestion des sites naturels en France par la fédération. En effet, d’après les informations parcellaires que nous avons recueillies, le Comité Directeur de la FFME, réuni à Paris le 8 octobre dernier aurait décidé de stopper tous les conventionnements en cours et à venir des sites d’escalade (pratique déjà effective depuis plusieurs mois voire années) et envisagerait de dénoncer certaines conventions existantes à terme !
En cause : La fédération française, via Allianz son assureur, vient d’être condamnée en avril dernier à verser 1,2 Million d’euros aux victimes de l’accident de Vingrau (66) ! Rappel des faits : le 3 avril 2010, M. X, guide de haute montagne, et sa compagne, Mme. Y, escaladaient une voie lorsqu’un gros bloc de rocher s’est détaché de la paroi sur laquelle ils progressaient. Les deux grimpeurs furent sérieusement blessés, Mme. Y ayant notamment dû subir une amputation de son avant-bras droit. La justice a estimé que la FFME était responsable. Un appel est en cours.
Il est évident que c’est un coût très important qui pousse à la réflexion. Beaucoup de pratiquants de pleine nature en France, dont Fanatic Climbing, média principalement tourné vers l’escalade outdoor, se fait l’écho, se posent actuellement des questions sur l’avenir de la grimpe en extérieur suite à ces récents évènements. Nous nous sommes naturellement tournés vers Pierre You, président de la fédération de la Montagne et l’Escalade afin de faire le point sur cette affaire.
– Fanatic Climbing : Qu’est-ce qu’exactement un conventionnement ?
– Pierre You : Il existe plusieurs types de convention entre un propriétaire et la fédération : · Le premier est une convention d’équipement et d’entretien de site. Il s’agit là d’un contrat de prestations ne posant pas de problème particulier. · Le second est une convention d’autorisation d’usage. Il s’agit d’un contrat par lequel le propriétaire transfère à la fédération sa responsabilité. Et c’est ce type de conventionnement qui est aujourd’hui à l’origine de nos soucis.
– Fanatic Climbing : Un conventionnement est-il différent selon le classement du site ? (bloc, site sportif, terrain d’aventure) ?
– Pierre You : La convention d’autorisation d’usage est la même quel que soit le site
-Fanatic : Existent-ils différents types de conventionnement ?
– Voir ci-dessus
– Fanatic : En proportion, combien de sites naturels parmi les 800 conventionnés en France environ se situent sur des terrains publics ? Privés ?
– PY : Je n’ai pas l’information à ce jour, mais les problèmes sont les mêmes dans les deux cas même s’il apparaît possible pour une collectivité de reprendre sa responsabilité de propriétaire.
– Fanatic Climbing : Il me semble que le COSIROC a été à l’initiative des premiers conventionnements en France, initiative de Daniel Taupin ensuite reprise par la fédération via une gestion locale des comités départementaux. Quelles sont les entités et personnes qui gèrent cela maintenant ?
– Ce sont toujours les comités départementaux de la fédération qui gèrent les conventions.
– En 2016, les voies d’escalade les plus dures de notre territoire sont en partie sur des spots interdits comme dans le Lubéron ou non-conventionnés comme Mollans ou La Ramirole en rive gauche du Verdon. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
– Des voies existent dans des sites non conventionnés [NDLR : Mollans par exemple] et heureusement et dans ce cas pas de problème. Si les sites sont interdits [NDLR : Lourmarin par exemple], on ne doit pas y aller.
Concernant cette décision prise en comité directeur, à savoir l’arrêt des conventionnements et la réflexion autour des déconventionnements (si les informations recueillies sont exactes bien sûr) :
– Qu’est-ce qui motive cette décision ?
– Tout d’abord la décision en conseil d’administration a été de ne plus signer de nouvelle convention d’autorisation d’usage. Je rappelle que la décision du jugement de Vingrau (1,2M€) correspond à 4 années de cotisation en responsabilité civile des licenciés. J’en profite pour dire et redire que les conventionnements sont possibles uniquement parce que des grimpeurs se licencient à la fédération. Ce n’est pas le cas de la très grande majorité des pratiquants (plus d’un million de pratiquants) qui pourtant utilisent ces sites. Les réflexions du conseil d’administration ont porté sur les moyens de protéger la fédération (risque assurantiel) et de protéger le patrimoine naturel d’escalade. Parmi les possibilités, il y a la modification de la loi concernant la responsabilité des propriétaires. Il faut se mobiliser et mobiliser nos élus députés et sénateurs pour faire modifier la loi de manière à ce qu’un propriétaire privé, ou public, qui n’interdit pas l’accès à sa propriété ne soit pas responsable de ce qui s’y passe. C’est l’enjeu pour préserver notre patrimoine naturel ! Pour ma part j’y œuvre déjà que ce soit par l’intermédiaire du CNOSF ou directement auprès de différents élus.
– Quand et comment s’opèrera exactement cette décision de désengagement fédéral concernant les conventions existantes ?
– IL N’Y A PAS DE DESENGAGEMENT de la fédération sur ces sujets. Il y a une réflexion globale qui va s’ouvrir avec nos comités territoriaux
– Cette décision concerne-t-elle uniquement les sites sportifs et de terrain d’aventure ou les sites de bloc sont aussi concernés ?
– Pas à l’ordre du jour
– Dans le cas de déconventionnements, sous quel délai cela interviendrait-il ? Quel est le processus pour déconventionner une falaise ?
– Pas à l’ordre du jour
– Actuellement, on constate une réelle dynamique fédérale autour de la pratique indoor, avec notamment le plan SAE et le pôle Compétition/Haut Niveau, peut-on en déduire une priorisation de ces axes par rapport à la pratique outdoor ?
– Priorisation ne veut pas dire exclusivité. Il y a une vraie dynamique autour de l’escalade que ce soit in ou outdoor. La pratique indoor permet la prise de licence qui in fine est nécessaire à chaque échelon de la fédération.
– Ne craignez-vous pas les interdictions massives des sites de pratique dues à l’absence de conventions sur les terrains privés, la responsabilité du propriétaire pouvant alors être engagée ?
– C’est une possibilité mais rien n’est sûr. Il est possible que les collectivités territoriales propriétaires prennent leur responsabilité. Pour des propriétaires privés, cela semble évident. Mais encore une fois ce n’est pas inéluctable.
– D’après vous, Peut-on s’orienter vers une gestion privée des sites naturels avec un permis de grimpe ?
– C’est une possibilité mais elle n’a jamais été évoquée dans des discussions avec les collectivités territoriales. L’intervention d’opérateurs privés est sur l’indoor.
– Peut-on s’attendre dans le futur à une gestion des SNE par des fédérations affinitaires ?
– Non ou alors c’est de l’inconscience, puisque quelle que soit la fédération les problèmes seront identiques.
– Quel est votre regard sur le rôle de l’association Greenspits qui s’est formée l’an dernier et qui œuvre activement pour la préservation et l’entretien des sites naturels d’escalade en France ?
– C’est un acteur comme d’autre et encore une fois les risques sont les mêmes pour tous.
– Enfin, Avec le procès de Toulouse suite à l’accident de Vingrau en 2010 et la condamnation de la FFME à verser 1.2 Million d’euros, faut-il s’attendre pour le licencié une forte augmentation de l’assurance de la licence FFME ? Est-il envisageable le cas échéant de faire appel à un autre assureur ou bien le contrat entre la FFME et Allianz est pour plusieurs années ?
– Le contrat avec Allianz peut être arrêté, ou revalorisé, à l’initiative de l’assureur s’il estime le risque trop grand. Il est trop tôt pour parler d’augmentation, nous ferons un bilan en fin d’année.
– Est-ce que la FFME a fait appel du jugement ? Avez-vous bon espoir concernant la conclusion de ce dernier ?
– Bien entendu nous avons fait appel. L’espoir est très faible.
– Si un juge retient cette jurisprudence, pourrait-t ’elle être appliquée en SAE où des accidents graves ont aussi lieu chaque année ?
– Pas du tout nous ne sommes pas dans le même contexte.
– Quelle est votre opinion concernant les dérives sécuritaires de notre société déclinées au monde de l’outdoor en général ?
– Je crois que la grande majorité des personnes veulent être en permanence protégées et que notre société répond à cette demande. Mais cela va à l’encontre de la pratique outdoor. Nos politiques devront choisir. Escalade en milieu naturel et escalade indoor sont 2 des nombreuses facettes de notre sport, aussi elles sont liées et je profite donc pour cette occasion pour avoir votre ressenti :
– Les championnats du Monde de Bercy ont eu lieu en septembre dernier, quel bilan tirez-vous de l’organisation de cet évènement à titre ?
– Le bilan médiatique est tout à fait satisfaisant, le bilan sportif des équipes de France l’est tout autant avec 12 médailles et les titres en paraclimbing. De l’avis des fédérations étrangères, c’était la plus belle compétition d’escalade jamais organisée. Nous espérons une augmentation de nos licenciés mais surtout une augmentation du nombre de structures d’escalade en France.
– La plupart des athlètes français présents au plus haut niveau pratiquent également l’escalade en extérieur, et médiatisent souvent leurs « croix ». Avec l’importance aujourd’hui des réseaux sociaux, ces sorties sont très regardées, commentées et constituent aux yeux du grand public un pendant à part entière de l’escalade. Que se passera-t-il si la plupart des sites ne sont plus conventionnés ?
– Nous n’opposons pas les deux pratiques elles sont complémentaires. Encore une fois le déconventionnement n’est pas à l’ordre du jour.
– L’avenir olympique de l’escalade en 2020 va très certainement engendrer un très fort développement de l’activité, et donc, statistiquement, amener de plus en plus de pratiquants à découvrir la pratique en milieu naturel. Dans ces conditions, à votre sens, la FFME compte-t-elle jouer un rôle majeur dans l’accompagnement du loisir en milieu naturel ? Si oui, de quelle(s) manière(s) ? Si non, comment pensez-vous que cette pratique s’organisera ?
– L’olympisme va amener un fort développement en salle et probablement une pratique accrue en site naturel. La fédération entend bien montrer, dans les deux cas, son implication et qu’elle LA fédération référente en la matière.
Nous avons fait le choix de donner notre ressenti sur le discours à Pierre You. Plusieurs messages envoyés sont à souligner à notre sens :
– Premièrement un message plutôt rassurant : « Le déconventionnement n’est pas à l’ordre du jour. » A plusieurs reprises dans l’interview, les réponses de notre président laissent à penser que notre inquiétude, toutefois naturelle, est exagérée. A ses yeux, pas de quoi s’alarmer et s’affoler ! Gageons de sa bonne foi en espérant de ne pas avoir de mauvaises surprises dans les mois (et années ?) à venir.
– Ensuite, l’autre message fort est lorsqu’il rappelle « que les conventionnements sont possibles uniquement parce que des grimpeurs se licencient à la fédération. Ce n’est pas le cas de la très grande majorité des pratiquants (plus d’un million de pratiquants) qui pourtant utilisent ces sites. » Le message est clair : il s’adresse à ceux (qui sont inquiets mais) qui ne font que consommer de la grimpe. Un message auquel nous ne pouvons qu’adhérer. Si vous voulez voir la situation évoluer dans le bon sens, ou tout au moins qu’elle ne se détériore pas, il faut aussi être acteur de votre pratique. De belles initiatives fleurissent un peu partout, sur le terrain ou dans les instances et même si vous ne vous en sentez pas les compétences, vous aussi vous pouvez agir : en vous rapprochant de certains comités départementaux FFME actifs ou de l‘association Greenspits par exemple. Cela passe aussi dans notre manière même d’envisager l’activité, en achetant les topos, en respectant les interdictions ou restrictions, en relayant les bonnes pratiques de préservation de l‘espace naturel comme par exemple à Fontainebleau. Dans notre société où la logique de consommation s’immisce partout, à force de passer le plus clair de son temps à consommer le moindre bout de caillou sans voir plus loin que le bout de son nez ni se soucier de l’impact et des conséquences de sa pratique, le retour de bâton pour le falaisiste français arrivera, inéluctable, brutal et peut-être irréversible… Il n’est pas trop tard pour changer les mentalités, agir dans l’intérêt de notre sport et des générations futures.
Pour finir, on notera le ton laconique (et frileux ?) de Pierre You dans ses réponses. Pour nous, deux raisons possibles à ces réponses succintes : soit la gestion des sites naturels n’est pas dans ses sujets de prédilection, soit les questions de cette interview ne l’ont pas enthousiasmé. Nombre de nos questions étaient ouvertes et laissaient donc le champ libre à un développement plus poussé des idées et perspectives défendues par la FFME aujourd’hui. Dommage de ne pas avoir profité du micro tendu pour mettre en lumière ses positions et points de vue, c’était pourtant une occasion de faire entendre la voix fédérale sur un sujet sensible. On restera donc un peu sur notre faim même si bien sûr nous sommes très heureux d’avoir obtenu des réponses à TOUTES nos questions, merci donc à Pierre You d’avoir joué le jeu.
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